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Domaine étranger Alentours du monde

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Jean Laurenti

Longeant le grand anneau autoroutier romain, Nicolò Bassetti et Sapo Mateucci marchent à la rencontre de ceux qui habitent les confins de la capitale.

Notre vision désenchantée du monde rend nécessaire l’invention de nouvelles manières de le parcourir et de le regarder, de trouver des raisons de tenir à lui. Les œuvres d’art et parmi elles la littérature ont plus que jamais un tel rôle à jouer. Dessiller nos yeux, certes, mais aussi repoétiser le réel, lui rendre une consistance, une épaisseur que la prolifération du bavardage et les incessants flux d’images érodent et appauvrissent toujours davantage. Cela passe par l’exploration des marges, des zones ternes, que nous traversons sans les voir, en n’envisageant que distraitement l’existence invisible qu’y mènent ceux qui les habitent. Aller voir de l’autre côté, scruter l’envers du décor, c’est ce que font Nicolò Bassetti et Sapo Matteucci, auteurs de Sacro romano GRA, entreprise pédestre et littéraire qui n’est pas sans rappeler le London Orbital de Iain Sinclair. Bassetti, selon ses propres termes « paysagiste et explorateur urbain », et son complice Matteucci, écrivain, se passionnent pour les territoires que longe le Grande Raccordo Annulare (GRA), l’autoroute qui entoure la capitale italienne. On trouve là « des champs, des pâturages, des bois, des zones anciennes et modernes, des chantiers, des campements, des décharges, des rivières ». Et aussi les « borgate », ces bourgs périphériques que Pasolini a découverts et aimés à son arrivée à Rome en 1950 avec leur habitat précaire et leur pauvreté, mais aussi leur vitalité linguistique.
Né à la fin des années 1940, le projet du GRA visait à « réunir par une couronne autoroutière les anciennes voies romaines rayonnant depuis le centre de la capitale ». Coïncidence étonnante, le maître d’œuvre de ce projet se nomme lui aussi Gra, Eugenio. « Le chantier commence en 1948, et l’on peut dire qu’il n’a jamais pris fin puisque le Grande Raccordo Annulare est un ouvrage d’art en perpétuelle transformation et rénovation. Il anticipe, détermine et épouse le développement de Rome. » Au fil des décennies, des évolutions sociétales et des projets urbains, immobiliers et autoroutiers, cet univers s’est considérablement transformé. Sacro romano GRA propose une succession de plongées dans ces îlots où s’inventent des façons très diverses d’être au monde, d’habiter ses confins. L’itinéraire choisi par les auteurs – partir de l’emblématique Via Appia et longer le GRA dans le sens des aiguilles d’une montre – permet de suivre leur progression à l’aide des cartes insérées dans le livre. Le parcours est tissé de rencontres qui sont autant de témoignages sur le paradoxe de vivre dans un nulle-part si proche de la Ville éternelle. Et sur les modes d’adaptation à un environnement qu’il faut quelquefois transformer pour le rendre habitable, fût-ce contre l’esprit progressiste et généreux qui animait les concepteurs du projet initial.

Vivre dans un nulle-part.

Il arrive aussi que rien ne puisse atténuer la violence que la pensée rationnelle inflige à ceux qu’elle est censée sauver. Il en va ainsi de Laurentino 38, « enchevêtrement de bitume et de béton », « hautes tours et barres grisâtres plantées sur des lambeaux de friches », quelque part près du raccordo, à la périphérie sud de Rome. La volonté publique était d’édifier « des logements sociaux d’avant-garde » pour les « populations déplacées des bidonvilles ». Mais le résultat, pour les habitants de « ce hideux fœtus urbain, resté difforme » est tout autre : « Au milieu de la radicalité des poutrelles et du ciment, les vivants sont restés très précaires, juchés dans des clapiers, casés sous des coursives. » Plus à l’ouest, de l’autre côté du Tibre, une autre création architecturale, Nuovo Corviale, tout aussi délirante semble avoir moins mal réussi. « Il Serpentone, le Grand Serpent » n’a pourtant rien pour lui : « Un kilomètre de béton, trente mètres de haut, mille deux cents familles, environ seize mille personnes vivent à Corviale. » Dégradé, en partie squatté, privé des aménagements prévus, affublé d’une cour intérieure façon prison d’Alcatraz mais fréquenté par un « Farmer’s Market » hebdomadaire, il est tant bien que mal vécu comme un endroit habitable. Tout près de là, on peut voir des chevaux qui « broutent sous les fenêtres » de la bibliothèque de quartier et un peu plus loin, « un troupeau de brebis. »
C’est aussi cela, le paysage contrasté, contradictoire du Grande Raccordo. Un hypermarché jouxte des prés « qui servent de pâturages aux bergers descendus des Abruzzes ». Des pêcheurs d’anguilles du Tibre vivent dans une maison flottante à proximité du pont autoroutier enjambant le fleuve. Un peu plus loin se trouve Malagrotta, « la cité des ordures », la plus grande décharge d’Europe. Poursuivant vers le nord de l’anneau, du côté de Grottarossa, on découvrira une « forêt équatoriale africaine » au sein de laquelle un solitaire consacre son existence à sauver de leurs prédateurs les palmiers du Latium. Tandis qu’à quelques encablures de là, une gare de triage née sous le fascisme et devenue inutile meurt doucement, « s’abîmant dans une déchéance programmée ». Une demi-vie calme, à l’écart. Ici « on se sent cachés. Personne ne sait que nous existons. »

Jean Laurenti

Sacro Romano GRA
Nicolò Bassetti et Sapo Mateucci
Traduit de l’italien par Louise Boudonnat
La Fosse aux ours, 287 pages, 22

Alentours du monde Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
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