En 1915 sortent les deux premiers numéros d’une revue créée par Fernando Pessoa et Mário de Sá-Caneiro : Orpheu. Le succès et le scandale sont immédiats : « On nous montre du doigt dans la rue, écrit Pessoa, et tout le monde – même ceux qui ne s’intéressent pas à la littérature – parle d’Orpheu. » Empêtrés dans des problèmes financiers, les deux amis retardent la sortie du numéro suivant. Mais avec le suicide à Paris en 1916 de Sá-Caneiro, le projet est abandonné. Les brouillons ne seront retrouvés que dans les années 40. Cent ans après leur première publication, les éditions Ypsilon proposent la traduction française de ces trois numéros.
Le lecteur retrouvera des textes de Pessoa publiés par ailleurs et aura l’occasion de découvrir des poèmes du méconnu Sá-Caneiro (notamment l’extraordinaire Manucure et ses étonnantes innovations typographiques) et d’autres poètes, comme Luís de Montalvôr ou Angelo de Lima. Tous qualifiés de modernistes, ces poètes qui oscillent entre décadentisme et symbolisme ont la volonté de bousculer les académismes. L’utilisation de calligrammes, de vers libres, d’onomatopées, d’archaïsmes et de néologismes par exemple, est à l’origine d’une surprenante vigueur. Malgré leurs différences, chacun de ces poètes est « possédé du Spasme » (Sá-Caneiro). Leur engouement est toutefois imprégné d’une mélancolie lancinante, de « cristaux d’inquiétude » (Sá-Caneiro) et d’une difficulté à exister avec laquelle sont déjà familiers les amateurs de Pessoa : à Ronald de Carvalho qui écrit qu’« en moi est une âme étrangère », Côrtes-Rodrigues répond : « J’agonise d’Être-moi. » Un volume d’une rare élégance, respectueux de la mise en page originelle.
Éric Bonnargent
Orpheu 1, 2 et 3
Traduit du portugais par Patrick Quillier,
Ypsilon, 273 pages, 33 €
Revue Pessoa & co
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Eric Bonnargent
Un livre
Pessoa & co
Par
Eric Bonnargent
Le Matricule des Anges n°166
, septembre 2015.