Tout romancier sait qu’un bon roman doit se référer à ces deux incommensurables de l’intensité que sont l’éros et la mort. Qu’en tant que fiction l’image mobile de la vie qu’il nous présente, doit s’adresser à l’imaginaire, tout en jouant son rôle de démystification. Le nouveau roman de Hédi Kaddour en est l’illustration. Il nous transporte à Nahbès, une petite ville du Maghreb vivant sous protectorat français où, au début des années 1920, des Américains d’Hollywood débarquent pour tourner un film.
Le choc est violent entre tradition et modernité, langues et cultures, rêves et réalité. Entre le monde des indigènes – « le mot qu’utilisaient les coloniaux pour parler des autochtones » –, celui des colons, majoritairement regroupés dans le Cercle des Prépondérants – « On a une prépondérance à exercer sur des colonisés » – et celui des Américains, se met en place un carrousel savant de contrastes et de défis que l’auteur nous donne à vivre à travers plusieurs foyers de conscience. Ceux de Rania – fille d’un ancien ministre « grand ami de la France » – jeune veuve que père et frère aimeraient remarier – et de son cousin Raouf – un passionné de littérature, de justice et d’indépendance –, le fils du Caïd. Ceux de Gabrielle – une journaliste de Paris aimant « les grands auteurs et les petits détails » – et de Ganthier, un des plus gros propriétaires de la région, ancien séminariste. Enfin ceux de Kathryn, l’actrice américaine, et de Neil, son mari de réalisateur. Tout ce petit monde va se chercher, s’affronter, se désirer et voyager. Va évoluer aussi au rythme des révélations. Sur fond de rumeurs, de combat de chameaux, de manifestations, c’est une autre vérité que celle qu’imposent les apparences qui est ici mise en exergue. Une façon de souligner violence coloniale et phénomènes de domination. Des réalités et des destins que la poésie – celle qui parle de la beauté et du malheur de désirer – accompagne constamment comme pour faire contrepoint à la fatalité et à tout ce qui nous fait nous arrêter, Nahbès, en arabe.
Richard Blin
LES PREPONDERANTS
DE HEDI KADDOUR
Gallimard, 464 pages, 21 e
Domaine français Les Prépondérants
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°166
, septembre 2015.