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Domaine français Réalités parallèles

octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167 | par Blandine Rinkel

Habitué à se servir du langage comme d’une lampe mettant en lumière les mythes tapis sous nos existences, Eugène Green publie L’Inconstance des démons, un polar travaillé par la grâce.

L' Inconstance des démons

Il est deux types d’individus : ceux qui entendent démontrer que les miracles n’existent pas et ceux qui, au contraire, désirent que ces miracles existent. Eugène Green appartient assurément à cette seconde catégorie et, à travers ses œuvres, combat la première. La quête de la lumière accompagnant la grâce, voilà ce qui meut le réalisateur de La Sapienza. En atteste son sixième roman, L’Inconstance des démons, un polar métaphysique se déroulant au Pays basque et réunissant bon nombre des obsessions de Green. À savoir l’éloge du mystère, la fascination pour les langues anciennes et l’amour de la parole spirituelle – celle qui, toujours, veut en dire plus.
Eugène Green, comment vivez-vous la rentrée littéraire ?
Je déprime un peu, parce qu’il n’y a eu aucun article sur L’Inconstance des démons jusqu’à présent. Et quand je vois que tous les papiers de la rentrée littéraire portent sur la même chose, et notamment sur une certaine autrice…
Tiens, vous qui êtes à cheval sur les règles du français, vous dites « autrice » ?
Comme je l’écrivais récemment à une amie, si la règle, selon les atticistes, est que « le masculin l’emporte », il y a certaines professions où cette règle s’inverse. Notamment la correction dans les maisons d’édition, c’est mystérieux, mais il s’agit toujours de « correctrice ». J’en prends acte, et je parle d’une « correctrice mâle » quand il s’agit d’un homme. De même chez les sorciers, et je l’évoque d’ailleurs dans L’Inconstance des démons, la sorcière l’emporte toujours. Eh bien, pour les auteurs de la rentrée littéraire c’est sensiblement la même chose, alors je crois qu’on devrait dire « les autrices de la rentrée littéraire ». (il rit)

Dans votre œuvre, il y a cette chose très belle qui est la constante traque de la grâce. Mais il y a aussi une dureté, l’exigence un français impeccable, d’une articulation parfaite. Pensez-vous que la grâce n’advient que dans certains milieux, certaines langues ?
Ah non, je n’ai jamais dit cela ! On me fait beaucoup de reproches de ce genre, mais je crois qu’on ne me comprend pas. Par exemple, ce refus des anglicismes sur lequel tous les journalistes insistent, il ne s’agit pas d’élitisme, il s’agit de politique. Je considère que les Barbares (ndlr : les Américains) n’ont pas la grâce, mais ça n’a rien d’un jugement spirituel, c’est un problème politique. L’occupation des territoires qui est advenue et qui advient toujours me dérange, c’est pour cela que je refuse le mélange des langues, mais cela n’a rien à voir avec le spirituel. Il ne faut pas penser la grâce de manière rationnelle, c’est la querelle des Jésuites et des Jansénistes et c’est ce que j’essaye de montrer dans le deuxième chapitre de L’Inconstance des démons  : que tout n’a pas de causalité, qu’on ne peut pas tout justifier, que la grâce est inexplicable.

Inexplicable et donc présente n’importe où : vous n’excluez donc personne ?
Non ! (il se prend la tête entre les mains) Excusez-moi mais c’est difficile, je suis assiégé de gens me demandant des rendez-vous pour des entretiens où j’ai l’impression d’être en procès devant un tribunal interprétant des choses que je n’ai pas dites…

C’est peut-être cette recherche de pureté dans la langue, qui donne cette impression. Face à vous, on peut craindre d’être « en tort »…
Je ne veux surtout pas donner cette impression. Cet été, par exemple, dans deux articles, on parle du fait qu’il y avait une « boîte à anglicismes » sur le tournage de mon dernier film, où l’on devait payer cinquante centimes à chaque anglicisme prononcé. Et l’on prétend que c’est moi qui ai instauré ça : seulement je n’ai rien instauré du tout ! C’était amusant cette boîte, mais elle ne vient pas de moi. Si je refuse les anglicismes, c’est avant tout pour que les gens prennent conscience de toutes les déviations de leurs langues, du fait que désormais on ne prononce pratiquement plus de phrase exempte de termes étrangers et qu’on le fait inconsciemment, c’est comme une occupation de notre langue dont on ne se rendrait pas compte, instaurée par la pression des Barbares : je veux juste qu’on se rende conscient de ça, rien de plus.

Vous semblez être fatigué de la caricature rigoriste que l’on fait de vous…
Oui : je crois que les gens ne pensent plus par eux-mêmes. Ils pensent par archétypes. Par exemple, le mot « exclusion » que vous avez prononcé est un mot moral, qu’on balance à droite et à gauche pour censurer des idées. Dès qu’on dit ça à quelqu’un on l’affilie implicitement à des extrêmes, au Front national, etc. Moi je n’utilise pas ce mot, et quelque part ça me blesse qu’on l’utilise à mon compte.

Peut-être que l’on vous prend un peu trop au sérieux, quand vous êtes plus espiègle que cela…
Je demande aux gens d’être un peu subtil quand ils me lisent… Si j’ai quitté la Barbarie (ndlr : les États-Unis, en 1968), c’est pour cela, parce que la plupart des Barbares ont des goûts grossiers. Malgré tout je trouve encore, et heureusement, des gens qui me comprennent ! Et notamment beaucoup de gens de votre génération (ndlr : jeune). Peut-être parce que les gens plus âgés sont précisément ceux que je caricature dans mon roman Les Atticistes, des personnes qui rompent la transmission pour asseoir leur force. Des personnes de votre génération ont du recul par rapport à cette attitude, une distance temporelle, qui leur permet d’apprécier ma propre distance humoristique.

Parlant de jeune génération, vous qui êtes passionné de linguistique, vous vous intéressez à l’émergence des nouvelles langues ?
Je m’intéresse aux langues de manière générale, et c’est vrai que l’émergence de nouvelles langues est un problème contemporain crucial. Je pense d’ailleurs que dans deux ou trois cents ans, ce qu’on parlera ici on ne pourra plus s’appeler « le français » : ça sera autre chose. Les langues sont toujours en transformation, attention, et tant qu’il y a une continuité culturelle ça reste la même langue en des stades différents, par exemple la rupture linguistique du Moyen Âge a donné de nouvelles langues à partir du latin. Mais quand la transformation des langues s’accompagne d’un mélange culturel, c’est encore autre chose. Oui, de nouvelles langues émergent, mais moi je ne peux pas le souhaiter dans la mesure où ça s’accompagne toujours de grands moments de violence…
Vous voulez dire qu’une nouvelle langue chasse nécessairement la précédente ?
Bien sûr : une langue est quelque chose d’organique. C’est pour ça que je lutte contre les anglicismes, car ça ne fait pas partie du développement organique de la langue. Une langue est toujours liée à une position géographique, au développement d’une communauté, c’est comme les humains, il faut que deux êtres s’accouplent pour qu’en naisse un troisième qui reste, c’est quelque chose de physique. Et quand on tue une langue, c’est organique aussi, cela s’accompagne de violence.

Par rapport à vos précédents livres, et surtout aux Atticistes, L’Inconstance des démons semble très sérieux…
Oh non, il y a plusieurs choses comiques. Cette histoire, je veux que ça soit terrible pour ce que ça représente, et en même temps il demeure une sorte d’ironie parce que c’est tellement grotesque… Maide la sorcière, par exemple, est un personnage drôle. C’est quelqu’un qui pratique des choses ayant donné naissance à des accusations de sorcellerie mais qui ne sont pourtant pas de la magie noire, plutôt de la médecine traditionnelle. Elle joue sur la manière ambiguë dont on conçoit la sorcellerie. Il y a, aussi, deux scènes satiriques avec l’Anglaise, Mrs Moutain, dont la grand-mère était une grande sorcière qui entretenait une correspondance avec le diable. Et puis il y a aussi des allusions satiriques à la ville de Bordeaux.

Ils sont rares les satiristes qui s’intéressent à Bordeaux… Et par rapport au spirituel, vous ne craignez pas que le fait de nommer les mystères, de nommer les « démons », les « sorcières » fasse écran pour le lecteur, que cela soit trop ésotérique pour qu’il s’embarque dans l’histoire ?
J’ai toujours rencontré des problèmes avec mes livres : dès qu’on touche à la spiritualité en France, c’est très répréhensible. C’est comme si on devait faire ça dans les catacombes, qu’il fallait se cacher… Ça m’est venu naturellement cette histoire, comme quelque chose qui vient d’ailleurs, qui me dépasse, et je me suis laissé faire. C’est une conception judéo-chrétienne de la création, et grecque à la fois, avec leur idée des muses, de la grâce… Le fait que ce roman prenne la forme d’un polar spirituel, ensuite, je pensais que cela rendrait l’abord plus facile pour le public. Il y a un plaisir du polar. Mais bon, je ne me pose pas vraiment la question de la popularité. Je cherche surtout à ce que ça soit simple et lisible. En termes de communication je pensais simplement que le polar était un atout, parce qu’on le lit d’une traite notamment…

Ça vous préoccupe la manière dont vous êtes reçu par le lecteur ?
Oui ! Disons que contrairement à certains écrivains, je pense toujours à un spectateur, un lecteur potentiel, quand j’écris. Je veux que ça touche les gens. Par exemple, je ne sais pas si une certaine autrice de cette rentrée, quand elle fait ses confessions, toujours les mêmes, je ne sais pas si elle pense aux lecteurs en écrivant…

Peut-être pense-t-elle aux médias ? Il y a en tout cas quelque chose de pédagogique dans ce que vous faites, ce sont des sortes d’œuvres éducatives…
Ce n’est pas très à la mode (il rit), mais oui, je crois beaucoup à ça. En fait, une des choses qui me rend un peu bizarre dans le monde actuel c’est que j’ai une façon de penser « mythique ». Ce qui était la façon de penser jusqu’à la fin du 18e siècle, d’ailleurs. Muthos en latin, c’est un récit qui exprime une vérité ou plusieurs vérités. Et moi, je pense toujours en ces termes-là : le mythe, ou la vérité, me vient d’ailleurs, mais une fois que je l’ai, je commence à la développer et je commence à voir le sens qu’elle revêt. Il y a, comme dans les œuvres éducatives, un point de départ et un point d’arrivée qui ont quelque chose à voir avec le récit d’un mythe. J’espère que le lecteur ou le spectateur, en deçà de son impression émotive, reçoit un éclaircissement sur le monde, sur sa vie.

Parlant d’éclaircissement, vous confiez souvent que les œuvres vous arrivent toujours dans des flashs, avec le titre…
Exactement, ce n’est pas en termes de pensée que ça arrive. Au début je ne sais pas ce que ça veut dire, c’est d’abord le noyau de la fable, souvent avec le titre, qui me vient, puis je laisse l’histoire se développer dans ma tête et je commence à comprendre ce que le flash signifiait, je vois quel aspect du mythe il faut accentuer, les thèmes arrivent…

Vous procédez finalement à l’inverse des auteurs de romans à thèmes, qui choisissent d’abord leurs sujets puis composent une histoire à partir de ça.
Oui : cette méthode est très en vogue en France, et pour moi, ça rejoint l’autofiction. Les deux viennent d’une méfiance, d’une haine voire d’une interdiction de la fiction. On aime beaucoup ça en France, trouver un thème, faire des recherches et puis bricoler une histoire. Soit on prend ce thème dans ses souvenirs d’enfance ou d’adolescence, soit on le prend dans ceux des autres. Ma vision mythique des choses implique au contraire une vision plus « humble » de la prose qu’on véhicule : je suis certes conscient de livrer le produit final, mais je sais aussi que l’inspiration ne vient pas de moi. Je suis en quelque sorte au service de quelque chose qui vient d’ailleurs et qui n’est pas un « thème » choisi.

Dans votre livre, le personnage principal dit : « Les rêves nous permettent souvent de voir clair ». Vous-même, vous utilisez vos rêves pour écrire ?
Non, je n’utilise pas mes propres rêves au premier degré mais ils me fascinent dans la mesure où je sais que je fais une grande partie de mon travail en rêvant. C’est là où la pensée mythique s’échafaude, inconsciemment. La seule expérience de rêve que j’ai utilisé au premier degré, c’est dans La Bataille de Roncevaux. Le personnage principal raconte une expérience qui est autobiographique : à 2 ans, j’ai vécu une expérience mystique fondatrice, puis, enfant, je me suis habitué à léviter la nuit, en rêvant. La sensation était si forte qu’à mon avis si quelqu’un m’avait observé, il m’aurait vu léviter au-dessus de mon lit. Cette même impression sensorielle, je l’ai retrouvée plus tard, à l’adolescence. Il suffisait de le vouloir, en rêve, et je décollais. Puis à 22 ans, j’ai volé en rêve pour une dernière fois : en me réveillant je me suis souvenu que je volais, et alors j’ai commencé à pleurer. Je savais que me souvenir du rêve signifiait que le charme était rompu. C’était un secret, qui passait de rêve en rêve, et le fait qu’il soit passé dans la vie rationnelle impliquait sa perte.

Vous semblez vivre en état poétique, et dites d’ailleurs que tout ce que vous faites est lié à la poésie : vous en écrivez ?
J’en écris beaucoup, tout le temps, mais ce n’est pas publié. Il y a deux livres qui ont été publiés par Alain Veinstein aux éditions Seghers, mais le reste je n’essaye même plus, car je n’arrive pas à concevoir la poésie en dehors de la forme métrique. Les gens n’aiment plus les formes métriques. Ça leur fait peur. Dans le meilleur des cas je triche un peu pour que les gens pensent que ce sont des vers libres, je mélange les décasyllabes, les alexandrins, etc. J’écris la plupart du temps des sonnets et ça, c’est le pire du pire… Donc les publier, non, je n’essaye pas : je vais laisser ça pour ma mort (il rit).

Et le Théâtre de la Sapience (« la sagesse par le savoir »), dans tout cela, qui est tout de même votre projet artistique d’origine, vous l’avez laissé tomber ?
Ce n’est pas moi qui l’ai laissé tomber, c’est le théâtre qui m’a laissé tomber. À l’époque où je voulais faire du théâtre baroque, j’ai subi un rejet que vous ne pouvez pas imaginer. On m’a refusé toute aide, j’ai beaucoup investi dans le théâtre, je me suis endetté, mais on ne m’a jamais aidé. L’écriture, le cinéma, passaient mieux, alors j’ai arrêté le théâtre.
Vous vous rendez au théâtre, à défaut d’en faire ?
Non, c’est un supplice d’y aller aujourd’hui. Les dernières productions que j’ai vues me semblaient anti-théâtrales au possible, avec le studio des acteurs (ndlr : actor studio) et tout ça. C’est drôle car pendant toute mon adolescence je pensais que j’allais m’exprimer en tant qu’écrivain dramatique. Je ne me voyais pas metteur en scène – et d’ailleurs je ne crois pas à la mise en scène – mais je pensais que je ferai ma vie dans le théâtre. Le texte, pour moi, compte plus que tout sur scène. Le théâtre contemporain oublie ça, c’est un mélange de cinéma et de danse contemporaine où l’on utilise le texte dramatique comme prétexte, et non comme centre. Pour moi le théâtre c’est l’incarnation d’un texte par les comédiens, faire autre chose c’est aller contre la nature même du théâtre. Et puis j’ai l’impression que beaucoup de gens se forcent à aller au théâtre alors qu’ils n’y croient pas : c’est comme les bourgeois qui, au 19e siècle, allaient à la messe pour les raisons sociales. C’est très bien vu d’aller au théâtre, surtout dans les théâtres publics en banlieue, quand il faut un peu souffrir pour y aller et qu’on peut goûter de la culture populaire : on présente une pièce d’Andromaque avec des nazis et des images du bombardement, c’est un succès bourgeois assuré. Mais on oublie alors souvent le texte.
Même le théâtre bat de l’aile… Vous assistez à la déréliction de tout alors ?
C’est un peu ça (il rit). Non je plaisante, j’arrive heureusement à faire des films et cela me rend heureux. Évidemment les financements demeurent compliqués, et sur le plan social, ma vie artistique demeure un échec total, mes livres ne se vendent pas sans critique dans Télérama, or je sais qu’il n’y aura pas de critiques dans Télérama, mais de toute manière, je ne pourrais pas faire autrement qu’écrire des livres, des films, et je suis déjà très content qu’il y ait quelques spectateurs, quelques lecteurs sincères. Surtout de votre génération, ça me fait plaisir. J’ai l’impression que les gens qui m’apprécient croient en quelque chose, tandis que ceux qui suivent les recommandations des médias, comme ceux qui obstruent ces mêmes médias : est-ce qu’ils y croient ?
Propos recueillis par Blandine Rinkel

L’Inconstance des dÉmons D’EugÈne Green
Robert Laffont, 234 pages, 18

Réalités parallèles Par Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°167 , octobre 2015.
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