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Domaine français À la dérive

février 2016 | Le Matricule des Anges n°170 | par Anthony Dufraisse

Frédérique Martin imagine une société qui ressemble à s’y méprendre à la nôtre mais qui serait régie par les pires de nos travers.

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus)

Désorienter, déstabiliser, désopiler le lecteur demande un certain talent. Il semble que Frédérique Martin le possède, qui publie aujourd’hui un recueil de nouvelles (le troisième livre chez Belfond dans une bibliographie qui compte une dizaine de publications). Son éditeur présente ce livre comme « déréglant les curseurs de notre société ». Là est en effet la dynamique : pousser jusqu’à l’absurde, ou aux limites de l’horreur, certaines logiques à l’œuvre dans nos sociétés contemporaines. Après Sauf quand on les aime (qui abordait, entre Toulouse et Tunis, le thème de la jeunesse désemparée) et Le Vase où meurt cette verveine (un roman épistolaire), Frédérique Martin s’emploie à amplifier, avec un art assez maîtrisé de la caricature, certains travers de notre société occidentale. Mais avant d’aller plus loin, une précision : l’image, en couverture, de cette mémé en blouse et pantoufles qui tricote bien calée dans son fauteuil reflète mal le contenu du livre. Il est peut-être plus angoissant que drôle, en réalité.
Ceci précisé, nous pouvons pénétrer dans le monde parallèle de l’auteur. Plus que la satire des travers de notre société individualisée, hystérisée, dépressive, marchande, médiatisée, hypersexualisée, technolâtre, etc., c’est créer, installer, générer du trouble qui l’anime. D’un fils qui vend sa mère comme un bien meuble dans un genre de brocante à cette société tout entière en proie à la frénésie du jeu, de cet univers où hommes et femmes sont strictement séparés à ce commando qui orchestre des kidnappings pour ouvrir les yeux des nantis sur la rareté de l’or bleu, sans oublier ce dialogue savoureux entre un homme et une femme qui s’adonnent sans complexe à l’eugénisme… les situations ne manquent pas.
Au vrai, peu importe le prétexte retenu – avidité, cynisme, pouvoir, pulsion, obsession du contrôle –, ce qui compte c’est l’inquiétude qu’il fait naître en nous. Redisons-le : sous l’apparence d’un livre désopilant, ce recueil grossit, à faire peur, le trait de certains marqueurs typiques de l’époque, faisant voler en éclats ce qui est (mais pour combien de temps encore ?) interdit ou tabou. De nouvelle en nouvelle se forme ainsi une étrange chaîne de rapports fondée sur un possible dérapage de ce qui travaille nos existences. Même « La grève des morts », qui évoque la possibilité de programmer la date et les circonstances de sa mort, ne parvient pas, malgré sa tendresse, à ne pas nous inquiéter.
Si Frédérique Martin flirte parfois avec le récit d’anticipation, elle n’en fait jamais des tonnes en matière, disons, d’effets spéciaux. Elle aurait pu traiter ses histoires sur le mode de la surenchère, mais non. Se passer de trucs et de bidules artificiels, c’est précisément sa force : on se prend à croire vraiment plausibles ces histoires. Ainsi ne nous lâche jamais ce pressentiment d’une réalité à venir, déjà en germe. C’est l’évidence : en la lisant, nous nous reconnaissons. Nous évoluons dans un quotidien qui est le nôtre ou qui pourrait, dès demain, l’être. « L’Organisation des Consciences Unies », « les Brigades de l’eau », « la Citoyenne des Jeux » ne demandent qu’à exister… Ce réalisme, qui ne verse jamais dans l’onirisme ou la science-fiction, fonctionne donc à merveille. On ne discerne plus le vrai du faux. Cette petite gymnastique vite acquise, le lecteur adhère assez facilement à cet exercice qui dit mieux que n’importe quel traité de sociologie ce vers quoi nos sociétés, si l’on n’y prend garde, pourraient aller. Tout ceci pour dire que J’envisage de te vendre est toujours givré, souvent grinçant, parfois glaçant. Il y a du Woody Allen en Frédérique Martin, mais un Woody Allen égaré dans l’univers d’un Cronenberg ou dans celui d’un David Lynch. Bref, du cinéma qui fait rire, mais jaune.
Anthony Dufraisse

J’envisage de te vendre (j’y pense de plus en plus) de Frédérique Martin
Belfond, 220 pages, 17,50

À la dérive Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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