Le réel, comme on dit, est peut-être parfois plus fort que la fiction et n’importe quelle idée délirante survenue inopinément à n’importe quel type un peu hors normes est bonne à prendre pour en faire le thème d’un reportage. Le journaliste américain Jon Mooallem l’a bien compris, puisque son Hippo d’Amérique raconte justement une de ces extravagances typiques des terres américaines du début du XXe siècle, où bien des choses restent encore à construire. Deux ennemis, deux baroudeurs farouches, ayant bourlingué en Afrique du Sud lors de la seconde guerre des Boers dans des camps opposés, qui « chacun rêvait de tuer l’autre et s’attendait à en tirer une grande satisfaction », vont se retrouver à défendre un même projet tiré par les cheveux : implanter des hippopotames dans les bayous afin de nourrir une Amérique incapable de produire les quantités de viande suffisante. Le projet saura trouver le soutien de l’ex-président Roosevelt. Reste à convaincre le péquin moyen que la viande d’hippo est aussi bonne que celle de bœuf, ce qui n’est pas gagné d’avance. Inutile de dire que la chose n’aboutira pas, pour aussi sensée qu’elle soit dans son absurdité. Les États-Unis, terre de pragmatisme s’il en est, ont leurs limites, et l’importation de ces bestioles africaines tiendra du pas de trop.
Comme tout bon reportage au long cours, celui de Mooallem se sert de son séduisant thème de base comme d’un prétexte pour dresser un portrait plus général d’un pays en transition, où le far west n’est plus cette terre d’opportunité pour aventuriers et pisteurs émérites, tandis qu’approchent déjà les spectres des guerres mondiales à venir. Les deux protagonistes principaux représentent chacun à sa façon les deux bouts de l’équation : l’un, dernier représentant d’un savoir destiné à disparaître ; l’autre, futur espion à la solde des nazis. Ces éléments en main, l’auteur tisse un texte habile et bien documenté, tout en ne transcendant pas complètement son sujet. La faute peut-être a un style qui, jouant trop de la complicité immédiate avec le lecteur, ne parvient pas à décoller.
Guillaume Contré
L’HIPPO D’AMÉRIQUE
DE JON MOOALLEM
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Hervé Juste et Marc-André Sabourin, Éditions du sous-sol, 112 pages, 12 e
Domaine étranger L' Hippo d’Amérique
avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172
| par
Guillaume Contré
Un livre
Par
Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°172
, avril 2016.