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Domaine étranger Avant le grand saut

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Valérie Nigdélian

Le récit simple et lumineux du quotidien d’un enseignant dans les montagnes italiennes, à la veille des grands bouleversements de la fin des années 60.

Le Suppléant : un hiver à Villalta

Dire ce qu’a été le travail dans le temps passé, ce qu’il est et représente aujourd’hui et enfin, ce qu’il pourrait être »  : voilà le projet de la belle collection « Tuta blu » (« bleu de travail » en italien), que les éditions Héros-Limite lancent cette rentrée. En attendant les portraits de Parisiens au travail d’Henri Calet (Les Deux Bouts) et la Vie de facteur de Jean-Jacques Kissling, on peut d’ores et déjà y découvrir le récit, jusqu’ici inédit en France, d’un enseignant nommé pour deux années aux fins fonds des Apennins durant les années 1960 : Le Suppléant, de Fabrizio Puccinelli – on ne parlait pas encore de précarité – fut salué lors de sa publication en 1972, par Pasolini notamment, comme l’un des textes marquants de la nouvelle génération. Dans cette période charnière où la péninsule connaissait des mutations économiques, industrielles, sociales et culturelles sans précédent, qui s’exacerbèrent en vagues successives de contestations et de tensions sanglantes – c’étaient, faut-il le rappeler, les années de plomb –, le récit de Puccinelli, sobre et sensible, visite le quotidien de façon singulière : tout de douceur, comme ouaté, presque anodin, pétri d’immobilité.
Immobilité du paysage, d’abord, contraint à l’engourdissement sous la neige hivernale « et le gel et le vent », qui vident l’école de ses élèves jusqu’au retour du printemps. Immobilité du temps, suspendu et cyclique, et d’une irrémédiable permanence que le ballet régulier des saisons ne suffit pas à occulter. Immobilité encore de cet « autre monde » – et de cet « autre temps » – aux confins de cette nation moderne que l’Italie est en train de devenir : à Villalta, l’Histoire n’a pas encore commencé. « Enfermés dans une prison de coutumes », « comment des fils de paysans et de bergers peuvent-ils se libérer du masque de l’assujetti qui leur colle au visage depuis tant de siècles ? » Dans un état de statu quo généralisé (ici « presque tous les votes vont à la Démocratie chrétienne »), tous « vivent dans la pauvreté, l’isolement, la méfiance. Du monde extérieur ils ne savent presque rien. (…) Le monde, la société, l’État sont tout au plus un fantôme venant alimenter les discussions des longues soirées d’hiver. » On devine alors, autour du poêle qui réchauffe non sans mal la salle de classe au sol de terre battue, les tentatives du professeur de « bris(er) la croûte du monde paysan », de dissiper le brouillard qui l’entoure, d’inventer de nouvelles approches pédagogiques. Bref, d’ouvrir le champ des possibles. Mais alors que le monde au-delà cherche dans le tumulte de nouvelles voies, cette question : « que faut-il transmettre de notre société et de nos valeurs ? »
C’est cette page encore vierge, ses prémices bouillonnantes et encore indéterminées, qu’interroge, en creux, le texte de Puccinelli, illuminé par ce vertige muet d’avant le grand saut. Quelques indices essaimés çà et là – éclats d’enfance, « promesse trahie », « projet oublié », la nécessité d’un départ « sans bien savoir où (l’on) va, mais avec l’intention de ne jamais revenir »… – fissurent le beau silence du récit : telles d’infimes traces du passé, ils entremêlent les incertitudes du destin collectif à celles de l’histoire individuelle, trouent l’apparente évidence du présent en esquissant d’indéfinissables lignes de fuite. Car dans ce texte mutique palpite, malgré tout, la vie. Peuplé de rencontres, de vin et de rires partagés au creux de la nuit, Le Suppléant affirme avant tout le pouvoir fondamental de la lecture et de l’écriture, soit de la fiction – ce que Puccinelli appelle le « comme si » – d’éclairer nos existences et de les faire grandir, en nous extrayant du lieu, du temps où nous vivons, et en inscrivant la puissance créatrice du rêve dans l’absence même qu’il creuse au quotidien : « Comme si le monde nous entourant était suspendu, comme si nos possibilités, bloquées dans la réalité, trouvaient le moyen de se libérer par le récit, comme si tout était prêt à se transformer. Il y a un élément de suspens dans ce “comme si”, mais aussi une tentative de se libérer de telle ou telle condition, du destin, de situations dans lesquelles nous avons été entraînés, la possibilité de créer à nouveau, après la suspension du récit, la capacité de choisir. »
Valérie Nigdélian

Le Suppléant. Un hiver à Villalta, De Fabrizio Puccinelli
Traduit de l’italien par Marc Logoz, Héros-Limite, 114 p., 16

Avant le grand saut Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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