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Quartier libre Le hoquet de Chaplin

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Xavier Person

Il arrive qu’un livre te parle. Ce n’est pas exactement un livre, c’est une voix dans un livre, c’est qu’un livre est une voix parfois, il a trouvé sa voix et, plus que sa voix, son intonation, sa juste, son exacte intonation. Cela n’arrive pas souvent mais cela arrive. Tu passes ton temps à refermer des livres qui ne te disent rien et il arrive qu’une voix te retienne, cette voix étrangement te parle, non seulement elle te parle mais elle te dit des choses qui sont celles que tu attendais qu’on te dise, sans le savoir vraiment d’ailleurs, le pressentant cependant, n’attendant que cela, mais cela n’arrivait pas. Tu lis un livre qui te parle sans qu’il te soit adressé, c’est étrange si tu y réfléchis et d’ailleurs à qui s’adresse-t-il, un livre au fond s’adresse-t-il jamais, à qui s’adresse un écrivain en écrivant son livre, c’est une question compliquée et l’écrivain le sait-il, sait-on jamais à qui on parle quand on parle à quelqu’un ? Il arrive que croyant ne parler à personne on veuille dire quelque chose à quelqu’un. Il arrive que ce qui ne voulait rien dire veuille dire quelque chose, etc.
Qu’est-ce qui fait que l’intonation d’un livre te touche et ce qu’elle te dit, si tu y réfléchis, ce n’est pas ce que veut dire le livre. Plus qu’une signification claire, c’est autre chose que te dit la voix que tu entends dans un livre. C’est la tonalité d’une voix que tu perçois surtout, une manière de poser celle-ci, une retenue particulière, des précautions, des hésitations, la qualité d’un souffle, la vibration d’un timbre et, si tu écoutes vraiment, jusqu’au rythme d’un cœur, son emballement parfois. Une voix ne te parle jamais dans un livre que si ton oreille en peut saisir quelque chose, c’est étrange d’écrire cela : lit-on jamais avec son oreille, se peut-il qu’on entende ce qu’on lit avec ses yeux, qu’est-ce que cela veut dire ?
Tu as refermé un livre et ce livre t’a parlé, même si peu il t’a parlé, ce qui veut dire : ce livre était un murmure à ton oreille, il te parlait si distinctement, c’en était presque indécent, tu entendais tout et ce qu’il te disait tu avais tant besoin de l’entendre, tu en étais à un point de ta vie où tu avais besoin d’entendre cela, des phrases étaient si justes, en quelques mots elles résumaient tout, elles trouvaient une formule incroyablement juste qui allait éclairer ta vie, rien de moins.
Mais de quoi parles-tu ? De quoi parlait ce livre dont tu parles ? Si on te demandait de parler du Mort-né de Michel Surya que dirais-tu, pourrais-tu dire quelque chose de ce qui te toucha, dirais-tu l’effet qu’elle te fit, cette voix que tu y entendais, en quoi précisément elle te concernait ? J’aime mieux en général ne pas trop parler des livres que je lis car ce qu’ils me disent vraiment, ce en quoi ils me touchent, cela tient le plus souvent à ce qu’ils ne disent pas, à la manière qu’ils ont de tenter de dire quelque chose au plus près de ce qui ne se laisse pas dire. J’écris juste ceci : être vivant n’est jamais sans doute que parvenir un peu à se dégager de la mort qu’on porte en soi, ce n’est jamais sans doute que connaître l’étendue de cette ombre que la mort porte sur nos vies, où nous sommes plus morts que vivants le plus souvent, ce n’est jamais que pouvoir rendre à la mort ce qui lui appartient précisément, ce n’est jamais que pouvoir dire et penser qu’il y a dans toute cette mort en nous une possibilité d’être vivant et il arrive qu’une phrase puisse dire cela et parfois nous délivre.
En lisant ce livre de Michel Surya j’ai pensé à la citation que dans son essai sur l’évasion fait Levinas de Chaplin dans Les Lumières de la ville : ayant avalé un sifflet, celui-ci, qui voulait passer inaperçu dans cette fête à laquelle il n’était pas invité, se sent si honteux, si confus de laisser échapper un sifflement à chacun des soubresauts que provoque son hoquet. Cette honte d’être un homme en trop, qu’éprouve celui qui ne souhaite que de disparaître, qui donnerait tout pour n’être pas là, ce sentiment honteux d’avoir à être simplement soi peut se transmuer en son contraire. Cet indécent sifflement de Charlot, aussi dérisoire que celui de Joséphine la cantatrice de Kafka, il peut faire effet et porter plus haut que n’importe quel chant plus sonore. Car il arrive que la honte d’exister se retourne en l’affirmation très éclatante, très éclairante, du fait d’être vivant, dans sa singularité inaliénable, il se peut qu’un murmure nous parle et c’est un chant, c’est une étrange musique.

Le Mort-né, de Michel Surya
Al Dante, 83 pages, 13

Le hoquet de Chaplin Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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