La lecture de Charles Duits (1925-1991) est une illumination ou n’est rien, écrivait-on dans ces colonnes en rendant compte du Pays de l’éclairement et de La Conscience démonique (Le Bois d’Orion, 1994). Une assertion dont le bien-fondé se vérifie à chaque page de La Seule Femme vraiment noire, un ouvrage inédit dont on ne connaissait que des extraits et auquel il travailla dix ans.
Né à Neuilly-sur-Seine, d’un marchand d’art néerlandais et d’une Américaine, Charles Duits suit ses parents aux États-Unis pour échapper aux nazis. À 17 ans, il rencontre, à New York, André Breton, fréquente Ernst, Duchamp, Matta. De retour en France, hollandais de passeport, mais se considérant comme « invité de la langue française », il découvre le peyotl, étudie la pensée orientale, vit dans un monde plus ou moins saturé de divin. Mais pour ce chercheur de vérité visant ce « point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire (…) cessent d’être perçus contradictoirement », c’est bien peu. Malgré quelques révélations sur lui-même, un sentiment d’échec commence à l’accabler lorsque le 17 juin 1978, il décide de prendre à la lettre l’injonction baudelairienne : plonger « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ».
Débute alors, à partir d’une simple phrase qui s’impose à lui – « Je vais faire le portrait de la Seule Femme vraiment noire » – une expérience des plus étonnantes. Duits dit entendre une voix lui parler et lui répondre, une voix qui s’identifie comme celle de la grande Déesse, une divinité noire au corps « parfait-et-merveilleux » représentant les opprimés et non une sorte de transposition métaphysique des rois et des puissants. Elle l’a élu pour lui délivrer un enseignement spirituel complet relevant de « l’allogique » – l’union de la logique et de l’illogique – autrement dit d’une pensée qui, en cherchant à séduire les contradictions plutôt qu’à les supprimer, produit des idées qui modifient radicalement notre appréhension ce qui est. Des pensées qui, en ne confondant pas la clarté avec le bien ni la logique avec la clarté, nous obligent à prendre conscience du conformisme et de la rigidité de nos processus mentaux. À commencer par le fait que nous nous représentons spontanément la Divinité sous forme masculine et que nous vivons dans une sorte de Thanatocratie dominée par le discours de ceux qui ont « remplacé le Pape par Staline, le Roi solaire par le Dollar » ou ceux qui « prétendent toujours que nous devons sacrifier notre raison à leur Christ, leur Prophète, leur Bouddha, leur Génial Camarade, leur Colonel Messianique… ».
En usant du jeu avec les lettres et de la « trialectique » – qui confond de propos délibéré le sens propre avec le sens figuré ou malpropre des mots – c’est l’impensé de notre rapport au monde, l’idolâtrie de l’Un, l’opposition du sexuel et du spirituel que pourfend « l’érosophie », la doctrine de la Déesse à la peau « noire comme le péché ». En opposant une déesse mère à un dieu père, elle développe, non sans humour, une conception originale de la condition féminine. « Seul l’Éclat de Rire nous permet de comprendre la Langue de Feu, et de ranger dans un ordre intelligible le Trait de Lumière, le Coup de Foudre, le Frisson de joie, le Jet de Semence. »
Stigmatisant la confusion que fait le Principe masculin entre la Femme nue (la représentation populaire de la vérité) et le Squelette, qui représente la vérité moins tous les attributs qui la rendent « concupiscible », l’érosophie s’édifie sur l’idée que « l’anatomie féminine est l’Écriture Sainte Vraiment Sainte ». D’où il s’ensuit que, la chasteté n’étant plus identifiée avec le Bien – et par conséquent avec la Divinité – le spirituel n’est plus opposé au sexuel, de même que la perpétuation de l’Espèce n’est plus le seul et unique but de l’union sexuelle. L’orgasme, la volupté, l’extase deviennent la norme comme le veut l’existence du clitoris, qui n’est pas la partie du Tout qui ne sert à rien et qu’on peut exciser, mais ce « Presque Rien qui distingue le Tout du Presque Tout ».
En finir avec « le Pire » – l’homme qui identifie la Femme avec le Mal. Fonder l’Éthique sur la relation harmonieuse de l’Un et de l’Autre – relation dont l’union sexuelle est l’expression la plus universelle. Rendre à l’imagination sa vraie place – « Seule connaît l’orgasme dans sa plénitude la femme qui fait de son imagination un usage radioactif ». Comprendre que le Principe féminin est « l’essence de l’intelligence divine » et amener les hommes à reconnaître que « les femmes sont des avatars de la Divinité », telle est l’essence de cette luxurieuse exaltation de la femme.
Richard Blin
La Seule Femme vraiment noire, de Charles Duits,
préface de son fils, Juste Duits, Éoliennes, 400 pages, 25 €
Histoire littéraire Exaltation de la femme
octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177
| par
Richard Blin
Charles Duits relaie la parole d’une entité divine à la peau noire, dans un livre qui tient d’un château de cartes dont toutes les cartes sont des châteaux.
Un livre
Exaltation de la femme
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°177
, octobre 2016.