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Histoire littéraire Klaus Mann, lanceur d’alerte

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Sophie Deltin

Un bref recueil de textes politiques de l’auteur du Volcan, à lire et relire comme un manifeste contre toute forme d’extrémisme.

Contre le mal d’Europe, d’hier et d’aujourd’hui, l’art doit-il s’engager, percer à jour nos aveuglements ? Une des réponses les plus convaincantes est l’œuvre, toute tendue d’intelligence tragique, du romancier et essayiste allemand Klaus Mann (1906-1949). Il est peu d’observateurs aussi sombrement avisés de la montée du nazisme que l’auteur de Contre la barbarie (1925-1948) – désormais épuisé – dont sont extraits la poignée de textes qui forment cet indispensable viatique publié sous le titre Mise en garde. Écrites entre 1930 et 1946, les interventions de Klaus Mann, parues dans des revues, journaux, et destinées aux tribunes du monde entier, sont à lire comme un argument résolu et implacable en faveur de la conscience, de l’engagement, c’est-à-dire de la détermination à résister, à servir coûte que coûte la liberté humaine et la « civilisation » : « l’artiste doit à chaque seconde être conscient de sa mission militante, c’est là son unique vocation. » « Plus une œuvre est passionnée, engagée, “artistique”, plus sa faculté d’amender le monde sera grande » martèle-t-il.
Le regard braqué sur la percée spectaculaire des députés nazis aux élections législatives qui viennent de se dérouler – on est en novembre 1930 –, le fils aîné de Thomas Mann répugne à suivre Stefan Zweig, figure de l’esprit raffiné et cosmopolite, son aîné spirituel, qui ne voit alors dans la colère de la jeunesse national-socialiste qu’une simple « révolte contre la lenteur et l’indécision de la “haute” politique ». À l’indulgence de l’Autrichien, le jeune écrivain allemand encore en mal de respectabilité oppose un jugement sans équivoque, ne craignant pas de « répudier » sa propre génération qu’il condamne de céder aux sirènes du « néonationalisme hystérique ». « Entre ces gens-là et nous, tranche-t-il, aucune alliance n’est envisageable. » Aucun compromis, aucune psychologie – telle fut bien la « grande et tragique » erreur commise par les hommes de la République de Weimar – mais une attitude pratique : un « esprit de lutte ». Une lutte courageuse que l’ancien « enfant terrible », le dandy exubérant et insouciant, désormais obligé de quitter l’Allemagne en mars 1933 et bientôt déchu de sa nationalité, mènera en exil : des Pays-Bas d’abord où il fonde la revue Die Sammlung, destinée à « rassembler » toutes les forces d’opposition au fascisme (dont Brecht, Einstein, Cocteau, Roth), en passant par la Tchécoslovaquie, la France et la Suisse, jusqu’aux États-Unis où adoptant l’anglais, il ne cesse d’alerter les consciences sur « l’aberration du racisme… élevée au rang de doctrine d’État », convaincu du péril qui pèse alors sur la paix mondiale.
À la « mise au pas » que le nazisme opère peu à peu sur les corps et les esprits, l’écrivain oppose une « mise en garde » visionnaire contre les désignations accusatoires assénées par le jargon hitlérien comme autant de mises à mort, contre les contraintes faites à la pensée, distillées à même la matière molle de la langue – cette « bouillie gélatineuse de mensonges et de confusion pernicieuse ». Mise en garde enfin qui sonne comme une mise à l’épreuve de l’hospitalité et des ressources morales dont disposent les intellectuels et plus largement les sociétés démocrates pour « accueillir » les exilés. Dès 1935, et en des pages incomparables sur l’amère et douloureuse expérience du paria acculé à quitter son pays pour sauver sa vie autant que sa « dignité d’homme », mais aussi accusé de lâcheté par ceux qui sont restés et souvent à peine toléré dans le pays hôte, c’est à un puissant appel à la bienveillance envers l’altérité niée et persécutée que Klaus Mann lance à ses « amis » de tous les pays du monde. Un appel à élargir l’imagination. Car, entrevoit-il, à travers le destin de l’Allemagne qu’Hitler défigure, c’est davantage le lien à l’universelle condition humaine qui se trouve menacé. « Quand l’imagination manque de vigueur, la bienveillance envers autrui est toujours superficielle et éphémère. Quand on est dépourvu d’imagination, on ne peut avoir à la longue aucune sympathie authentique, active, secourable pour des destins dans lesquels on est incapable de s’impliquer. Les premiers à faire l’expérience de cette réalité, ce sont ceux qui (…) par exemple, ont perdu leur patrie, provisoirement ou pour toute leur vie, ceux qui ne peuvent s’en sortir sans la bienveillance et la compréhension d’inconnus. L’émigrant a besoin de la sympathie active de ses amis politiques dans les autres pays. »
Des textes qui par leur combativité chevronnée, par leur clarté de vue si parfaitement aiguë sur leur époque mais aussi sur la nature humaine en général, ont gardé une force de frappe et une autorité salutaire pour notre présent le plus immédiat.

Sophie Deltin

Mise en garde, de Klaus Mann
Traduit de l’allemand par Dominique Laure Miermont
et Corinna Gepner, Phébus, 64 pages, 7

Klaus Mann, lanceur d’alerte Par Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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