C’est un beau roman un peu bancal ; on peut y projeter nos rêves et nos déceptions. La faute à son titre, La Nuit sera belle. Un faux air de programme : trois amis préparent une expédition dans un appartement. Belle et simple idée qu’a eue Lucie Desaubliaux pour son premier roman : comment tenter d’habiter un espace et un temps. Idée d’actualité, aussi, quand les matins ne chantent guère. Comme Mary Poppins de son sac, cette diplômée en expression plastique arrive à tirer d’une intrigue réduite des tas d’objets plus ou moins improbables, une théière en forme de tesseract, un puzzle à l’envers, un bateau… Tout est bon pour alimenter l’imagination et les réflexions d’Arek, d’Ivan et de Todd C. Douglas. Le trio préfère perdre son temps plutôt que de gagner sa vie, et apprendre à être « poreux ». En descendants de Michaux ils s’ingénient à repeupler le vide ; en lectrice de Deleuze Lucie Desaubliaux parle d’interstice et de rhizome.
On le devine, La Nuit sera belle est une sorte de fantaisie philosophique, de conte à l’usage de ceux qui se demandent ce que faire veut dire et qui n’aiment pas trop qu’on le leur demande. C’est à la fois peu et beaucoup. Souvent les personnages manquent d’incarnation ; certains passages sont trop démonstratifs et didactiques, mais l’écriture nous surprend dans de petites notations, quant au choix des fragments et à l’alternance du récit et du dialogue, ils sont très réussis. On a envie de porter le roman comme les amis échafaudent leur projet : « C’est un moment très délicat. Ils vont enfin vérifier s’ils ont bien tout mis à la bonne place sur le corps de l’idée – le nez au milieu de la figure, les jambes au-dessus des pieds, les yeux pas trop espacés et les oreilles pas trop grandes. C’est à ce moment du décollage qu’elle est la plus fragile et qu’elle peut se ramasser à cause d’une seule erreur. Beaucoup se cassent à la première chute. Ce soir, ils testent les ailes. »
Chloé Brendlé
Actes Sud, 188 pages, 18,50 €
Domaine français La Nuit sera belle de Lucie Desaubliaux
avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182
| par
Chloé Brendlé
La Nuit sera belle de Lucie Desaubliaux
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°182
, avril 2017.