Et s’il n’y avait qu’un livre ? Celui que Jacques Laurans cisèle sous forme de miniatures, depuis plus d’une soixantaine d’années, mêlant récits autobiographiques, essais, livres d’artistes, critiques cinématographiques, littéraires ou musicales. Ici, en quelques brefs poèmes en prose, il instille à nouveau ses parts d’ombre et de lumière, révèle quelques nœuds de vie et de petite mort. A-t-il enfin trouvé sa place dans ce monde ? « Lointain,/Et si près de nous/On l’imagine seulement/On ne peut y entrer ». Du soleil du Maroc qui l’a vu naître, il a toujours préféré la pénombre, celle des salles de cinéma. À l’instar d’un Truman Capote qu’il cite, quelle faute a-t-il à avouer à son père dans ces nouveaux confessionnaux ? « Vaincre la peur, ses fautes et ses faiblesses./Il ne cherche que ça. » Et ce père a-t-il laissé une place pour lui à contre-jour ? Et si c’était le fait d’avoir quitté l’enfance qui l’ait empêché d’avoir la vie de Monsieur Tout le Monde ? Être passé trop rapidement de l’éblouissement de ses tendres années et ses Tours de France cyclistes qu’il recomposait dans son jardin aux salles obscures ? « J’étais à la fois spectateur/et comme à l’intérieur des choses./J’étais mon double et j’étais moi-même. » À moins que sa propre existence ait pu avoir déjà été vécue par d’autres ? Kafka ? Cocteau ? Laurans survit grâce à une fraternité de papier, de pellicules et d’émois esthétiques. Les personnages de Shadows de John Cassavetes, « film-frère », le hantent. « Leur présence sort du cadre ;/Elle se rapproche et me rejoint,/elle me tend les bras, traverse l’océan/Et m’offre une autre vie, cette vie que je n’ai pas encore vécue. » Jacques Laurans a des allures de Peter Lorre, le héros de M le Maudit de Fritz Lang, vrai-faux coupable, innocent tueur d’enfant, le même effarement, la même fièvre, la même ferveur. Il nous émeut et nous ressemble. Dominique Aussenac
L’Image d’un autre monde, de Jacques Laurans, Voix d’encre, 74 pages, 15 €
Domaine français Camera obscura
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Dominique Aussenac
Un livre
Camera obscura
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.