Certains textes ont le pouvoir magique d’invoquer les souvenirs de ce qu’on n’a pas vécu, nous rendant nostalgiques d’histoires n’étant pas les nôtres. Ainsi ces trois nouvelles de Karim Kattan (né en 1989 à Jérusalem). Trois épopées, simples comme des énigmes palestiniennes. Trois récits qui vous transmettent coup à coup la mélancolie des hôtels protégés de Gaza – ceux-là mêmes qui « semblent pouvoir repousser la catastrophe », ces « hôtel(s) hors du temps ultramoderne et antique » – puis la mémoire d’une femme dont la Palestine natale fut longtemps recroquevillée dans un appartement de Bombay – une mémoire fragile et pigmentée, que le narrateur restitue en un kaléidoscope de visions nomades, de Bethléem à Omdurman –, et enfin la grâce, triste ou même pas, d’une Shéhérazade exilée à Londres qui, sans complaisance au mystère, voudrait juste qu’on se raconte des histoires avant la fin du monde. Des contes intimes et politiques à la fois, fleuris et désastrés, travaillés de l’intérieur par le souvenir des bananeraies de Jéricho ou des forêts qui brûlent à Haïfa, des récits faits d’odeurs de végétaux et de langues échangées dans le secret à Jérusalem. Des histoires comme celles de cette Shéhérazade, terres de substitution où habiter quand on n’a plus de chez soi sécurisé. Mille et une pourquoi pas, mais d’abord, préliminaires pour un verger futur, commençons par ces trois-là.
Blandine Rinkel
Préliminaires pour un verger futur, de Karim Kattan
Elyzad, 128 pages, 19 €
Domaine français Une terre à fleurir
novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188
| par
Blandine Rinkel
Un livre
Une terre à fleurir
Par
Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°188
, novembre 2017.