Condamné à quinze ans de prison en 1943 pour « acte d’hostilité à l’encontre du Parti fasciste italien », Piero Chiara (1913-1976) incarne la résistance à l’oppression. En retirant les portraits du Duce dans le tribunal de Varese où il travaille puis en installant un buste de Mussolini dans le box des accusés, il ridiculise le dictateur. Il partage avec son héros, le jeune Peppino Ballinari, une brève carrière dans le monde judiciaire et un attachement particulier à la ville lombarde de Luino, proche de Varese. L’auteur la décrit avec nostalgie, mais sans concession pour la petite bourgeoisie locale, prompte à collaborer avec le régime. Peppino y mène une vie insouciante, jusqu’à ce qu’il doive quitter précipitamment la bourgade : le point de départ de cette intrigue construite en flash-back. Toute l’intelligence et la puissance du texte, qui a la vivacité d’une nouvelle, tiennent dans le talent de l’auteur à masquer le propos politique derrière une histoire vaudevillesque, sans jamais tomber dans la grivoiserie. Une farce à l’italienne, pleine de soleil, de vieux notables qui se rêvent don Juan et de femmes felliniennes : « de ces femmes milanaises au visage pâle et aux cheveux noirs, à l’ossature délicate mais aux formes plantureuses ». Il ne manque plus qu’une touche de patriarcat pour que tous les éléments de la farandole soient en place : « Son père, en vrai méridional, la tient dans l’ombre, la cache et l’oblige à s’habiller en orpheline ». Ainsi, ce 28 octobre 1932, qui marque le 10e anniversaire de la Marche sur Rome de Mussolini, se transforme en épisode tragi-comique, la fin d’une histoire d’amour voluptueuse. Peppino éclipse de belle manière et devant tous ces concitoyens la cérémonie de commémoration organisée par les responsables du parti. Un antifascisme libertin de la part de Chiara, qui atteint son but contestataire tout en sauvant la tête du rebelle. Comme Peppino qui échappe au couperet, Piero Chiara a finalement évité la prison, en partant se réfugier en Suisse.
Franck Mannoni
Le 28 octobre de Piero Chiara
Traduit de l’italien par Marie-Françoise Balzan, La Fosse aux ours, 80 pages, 13 €
Domaine étranger Le 28 Octobre
novembre 2017 | Le Matricule des Anges n°188
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°188
, novembre 2017.