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Poésie Vertiges secs

janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189 | par Richard Blin

De l’étreinte du réel à la rhétorique de la dissolution, c’est la grandeur des signes que les hommes ont su tracer, qu’exalte Auxeméry.

Failles / traces

Tension, concentration, âpreté, tout n’est, chez Auxeméry, que densité portée à son plus haut degré, attention à ce qu’il reste de beauté dans le désastre du monde : des traces, des cicatrices, des empreintes où absence et présence s’entretiennent, renvoient à un passé toujours actif dans la mémoire ou enfoui dans l’histoire d’une humanité aux rites oubliés. Ce qui ainsi échappe et persiste, se noue et se condense en une parole muette qui innerve la matière du monde, s’inscrit en filigrane dans la trame du réel, hante le présent et nos vies d’une manière palimpsestueuse.
Ces traces ou ces résurgences de l’effacé, du révolu – qui font sens et présence – le poème d’Auxeméry les capte à travers les situations ou les moments – « les instants pleins seront seuls recensés » – où elles se révèlent dans l’évidence de leur réalité, la force de leur vérité et de leur simplicité élémentaire. C’est qu’ayant vécu dix ans en Afrique, et ayant toujours aimé être vie en mouvement, partir par les travers, les pentes et les dévalées, n’être plus qu’œil, ouïe et respiration rêvant de s’unir « au cercle vif des horizons & des courants », Auxeméry a vite compris – pour avoir aussi trébuché au milieu des ruines et dormi parmi les pierres – que les paysages, les lieux, parlent, que plusieurs niveaux de réalité jouent en contrepoint, trament la tessiture du réel un peu comme « le parcours du corps voyageur suit le même trajet que celui du corps écrivant », ainsi qu’il est dit dans Les Animaux industrieux (Flammarion, 2007).
C’est ce dont témoigne, de manière emblématique, Failles / traces qui reprend des marches anciennes, retrouve la mémoire des lieux traversés, des êtres rencontrés, des épreuves vécues, revisite des formes, ré-agence des traces. À un âge – il est né en 1947 – où l’«  on tutoie déjà les ombres vraies », Auxeméry a ressenti la nécessité de se lever à nouveau, de retrouver « fatigue et ferveur », de passer des cols, de descendre dans des canyons, de courir encore les déserts, de bondir « hors des cercles de l’infamie » et de l’enfer de nos temps d’effondrement des valeurs passées, de « conjonction de l’impuissance et de l’ignominie », de « cuculture », de « langues infestées du pus des vanités ». Oublier « tout ce venin de nos mémoires », aller vers « le plus-que-soi », vers une lumière à inventer peut-être, mais à opposer à la noirceur du monde. Besoin d’affirmer la vie à travers une parole impersonnelle, débarrassée de la vanité de ce qu’on est. « Je n’est pas l’autre, je n’est pas », n’est qu’un nous qui ne veut que sortir de soi, pour se croiser, atteindre ces moments où « toute présence à soi se dilue », où l’on n’est plus que « chambre d’échos », où tout se mêle, le regard du chasseur et celui de la proie, la lecture de la trace et l’écriture-trace, le devenir du monde et celui du poème.
Besoin de se désorienter, de se précipiter – avec l’instinct pour seule raison – dans l’incertain. Désir de se frotter de manière quasi animale au « réel fauve », de creuser ce qui gît, de faire de l’évanoui sa résidence. Une façon de se déployer, de ne plus penser que dans la lumière, en savourant « tout le banal d’être là, ou là ». Une manière aussi de répondre à l’intimation de « suivre sans interruption la ligne de ses propres pas / vers le point où tout présent s’anéantit », où ne subsistent que les souffles nés de l’étreint du réel.
Rejoindre, accéder, consentir, le poème se fait exploration créative du réel, souvenir d’avoir vécu, parole plurielle, polyphonie où s’entendent les multiples voix des grands prédécesseurs (Homère, Héraclite, Parménide, Empédocle, Lucrèce, Catulle…) comme des poètes aimés, Ezra Pound, Charles Reznikoff, Charles Olson – auquel il a dédié une partie de sa vie de traducteur – Hilda Doolittle, dont l’adage disait que « le mythe est la seule réalité », Rachel Blau DuPlessis, qui est la dédicataire de l’ensemble titré Retable, mais aussi Vallejo, Hâfiz, Sappho, Baudelaire, Segalen, Artaud… Dans ce lieu d’échanges et de passage qu’est le poème, toutes ces voix entrent en résonance avec un présent où tous les temps sont superposables, où tous les lieux convergent selon un mouvement qui lie et donne forme. Une forme qui s’engendre en s’accordant aux plis, aux strates de ce qui est, de ce qui vient, de ce qui s’efface comme s’effacera notre présence, « soluble / dans le temps & l’espace ». Poète est celui qui condense, en langue, cette mémoire de l’instant, l’inscrit dans le grand poème collectif avant de s’effacer, de n’être plus qu’un nom sans empreinte lisible.

Richard Blin

Failles / traces, d’Auxeméry
Flammarion, 368 pages, 23

Vertiges secs Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°189 , janvier 2018.
LMDA papier n°189
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