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Intemporels Un an au Spitzberg

février 2018 | Le Matricule des Anges n°190 | par Didier Garcia

Première femme blanche sans doute à passer un hiver dans l’Arctique, l’Autrichienne Christiane Ritter a fait de son séjour un récit enchanteur.

Une femme dans la nuit polaire

En 1933, alors que l’Europe se dirige vers sa Seconde Guerre mondiale, Christiane Ritter (1897-2000) décide de rejoindre son mari au Spitzberg (où il s’est établi après une expédition scientifique), la plus grande île norvégienne de l’archipel du Svalbard. Et d’y passer un an.
L’entreprise relève moins du pèlerinage que du stage de survie. La voici débarquant dans un lieu « à peine accessible aux navires, séparé du dernier établissement humain par quelque deux cent cinquante kilomètres de glaciers et de montagnes ». Dans ce « royaume du brouillard, de la glace et des vagues », sur lequel règne l’ours polaire, elle va devoir vivre quatre mois avec le soleil de minuit et traverser une nuit interminable de 132 jours. Seule consolation : elle n’aura pas trop à souffrir de la solitude puisque, outre Karl (ancien harponneur sur un baleinier devenu l’ami du mari de l’auteure), elle pourra également compter sur un voisin, installé à seulement quatre-vingt-dix kilomètres de leur cabane (un 9 m² constitué d’une seule pièce de vie sommée d’accueillir trois adultes pour un an).
La première vision de l’île tient du cauchemar : « Le paysage est désolé. Nulle part un arbre, un buisson – pas une tache de couleur n’interrompt la morne grisaille. Une mer de pierraille recouvre la terre plate, monte à l’assaut des montagnes effritées, descend jusqu’au bord du rivage, étire à perte de vue son délabrement chaotique. » La carte postale ne fait pas rêver. Et l’on comprend que dans un tel décor sa vie se dépouille assez vite « des artifices de la civilisation ».
Durant toutes ces pages, écrites à chaud, au lendemain de son séjour, Christiane Ritter nous donne à voir autant qu’à lire ses métamorphoses successives. La première d’entre elles est sans doute la plus spectaculaire : elle troque son statut de ménagère des années 1930 pour celui d’aventurière, devenant aussitôt « une pauvre fourmi perdue dans un univers démesuré » (la métaphore est facile mais elle a le mérite d’être juste). Au Spitzberg, l’espace et le temps ont en effet des dimensions « insoupçonnées » et « écrasantes ». Dans un premier temps, il lui faut donc s’adapter au décor, qui fait croître chaque jour en elle « la nostalgie des champs, des vergers, des jardins de la vieille Europe ». Mais dès le retour du ciel bleu, son environnement lui aussi se transforme, se faisant soudain d’une beauté à couper le souffle.
L’adaptation à ce nouveau milieu passe aussi par le changement de ses habitudes alimentaires. Dans le Grand Nord, difficile d’échapper à la chair de phoque (on raconte d’ailleurs que pour éviter le scorbut les chasseurs mangent des crêpes de son sang). Pas moyen non plus d’éviter la chasse et les tempêtes de neige, qu’elle traverse parfois seule, les deux hommes partant sans scrupules chasser pendant plus de dix jours (selon son mari, cela tombe plutôt bien car « on ne peut connaître l’Arctique que lorsqu’on y a vécu seul »). Au fil des mois la magie du lieu opère. Elle succombe elle aussi au « charme ensorceleur de la nuit polaire ». A tel point qu’à l’approche du départ ses sentiments sont partagés : elle se retrouve déchirée entre la joie à l’idée de revoir bientôt les siens et la tristesse à la pensée de quitter « ce pays merveilleux ».
Dans cette « nature inexorable où la vie frôle continuellement la mort » et sur laquelle planent les belles légendes des Esquimaux (qui croient reconnaître le sourire serein des âmes des défunts dans les accords de la lumière), le séjour de l’auteur au Spitzberg n’aura pas été un long fleuve tranquille. Cette terre peu hospitalière lui aura offert une expérience initiatique doublée d’une rencontre avec soi-même, car ce sont la rigueur morale et la volonté qui y « décident de la vie ou de la mort de l’homme ». Pour survivre, il lui aura fallu se battre contre le vide qui aurait pu la rendre folle : « Surtout ne pas laisser à mon cerveau le temps de penser, de se rendre compte du néant affreux qui m’entoure ». Un comportement qui force le respect.
Christiane Ritter, qui signait là son seul et unique livre (publié en 1938), offre au lecteur un texte séduisant et juste qui se lit comme un roman. Le récit est vif (les pauses y sont rares, malgré la durée de la nuit polaire), porté par une langue simple et efficace, plus soucieuse de présenter des faits de manière chronologique que de se perdre dans les méandres de l’introspection. Et au sortir de ces pages délicieusement contagieuses, le lecteur n’a qu’un seul désir : découvrir des photos du Spitzbeg afin de poursuivre l’aventure et continuer de rêver. Didier Garcia

Une femme dans la nuit polaire, de Christiane Ritter
Traduit de l’allemand (Autriche) par Max Roth, Denoël, 224 pages, 19

Un an au Spitzberg Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°190 , février 2018.
LMDA papier n°190
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