La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Traduction Andrée Lück-Gaye

avril 2018 | Le Matricule des Anges n°192

Et l’amour aussi a besoin de repos de Drago Jančar

Et l’amour aussi a besoin de repos

Quand l’an dernier Drago Jančar a proposé de m’envoyer les épreuves de son dernier roman, j’ai accepté avec enthousiasme. Je savais que l’intrigue de ce roman se situait pendant la Deuxième Guerre mondiale et une fois passé le plaisir un peu enfantin d’avoir accès au roman avant même les Slovènes, j’ai ressenti au moment de le lire une sorte d’appréhension : et si je retrouvais dans ce roman une ou des scènes aussi insupportables que celles du dernier chapitre de Cette nuit, je l’ai vue que j’ai traduit il y a quatre ans maintenant, où la traduction des derniers moments de l’héroïne a été un véritable supplice ? Il n’existait aucune difficulté technique mais quand on traduit, on n’a pas la possibilité, comme le lecteur ordinaire, de lire vite, de glisser sur le texte pour échapper au caractère insoutenable d’une scène ou d’une autre. Au contraire, c’est à ces passages-là qu’il faut souvent accorder le plus d’attention.
La première lecture me rassure un peu. Certes, le roman comporte des épisodes violents, douloureux, et sa tonalité générale, comme la plupart des romans que j’ai traduits ou simplement lus jusqu’alors est éprouvante, mais les modes de récit très variés employés par l’auteur introduisent une certaine distance entre l’action et le lecteur, ce qui ne confère pas au récit le caractère insupportable de la fin de Veronika dans Cette nuit. Et quand je comprends ce qui arrive à l’héroïne, je connais en partie son destin puisque Drago Jančar a intégré dans ce roman une nouvelle, légèrement modifiée, que j’ai traduite en 2011 pour un recueil de nouvelles nommé Éthiopiques. Je constate alors que l’habitude qu’a l’auteur de citer dans son texte un extrait, un personnage, un événement d’un roman précédent a subi une sorte d’amplification : cette fois c’est Drago Jančar lui-même, jeune auteur, qui fait irruption dans la vie de Sonja comme personnage secondaire, il apparaît au moment où il vient justement à Maribor dans les années 70 faire la promotion d’Aurore boréale dont l’action se situe dans cette ville en 1938, avant la guerre qu’on voit se profiler dans le roman.
Je note aussi quelques coïncidences qui n’ont de sens que pour moi. Ce roman n’est pas une suite d’Aurore boréale, le premier roman de Jančar que j’ai traduit, mais il se situe aussi dans la région de Maribor, ville « allemande » et je connais déjà l’atmosphère qui régnait dans cette ville. D’autre part le roman commence quand finit Cette nuit, et là s’arrête la comparaison tant la guerre s’est déroulée différemment en Styrie et en Haute Carniole.
Nous sommes donc en Styrie où, à partir d’une bêtise de Valentin, engagé dans la résistance (après une action particulièrement difficile, il s’est soûlé dans une auberge), la machine allemande va se mettre en marche et broyer les protagonistes. Les personnages principaux sortiront vivants de la guerre, vivants mais définitivement brisés.
À la lecture du texte, je remarque le nombre important de citations. En page de garde, l’auteur a indiqué ses sources : hormis les poètes slovènes sont cités Mácha, un Tchèque, Byron, Goethe et Shakespeare. Je ne connais pas Mácha, mais je trouve facilement ce qui me convient sur internet et je ne m’inquiète pas pour les autres poètes, je trouverai facilement, ils sont célèbres.
Je fais ensuite une présentation pour Nils Ahl, mon éditeur, et après son accord, je commence la traduction, comme je le fais toujours, premier jet très proche du texte slovène, sur papier, au crayon, repérage des répétitions poétiques et des autres, les auteurs slovènes n’ayant pas les mêmes préventions que les Français devant les répétitions. Après une relecture sur papier, je tape le texte et c’est alors que je règle – que je tente de régler – la question des temps. C’est une difficulté car en slovène on n’emploie en général qu’une seule forme grammaticale du passé, ce qui a pour corollaire l’absence de concordance des temps. Et, dans le cas présent, étant donné la construction du récit, quatre chapitres d’importance inégale découpés en scènes, où s’entremêlent les récits et les discours intérieurs des différents personnages à des époques différentes, l’exercice prend une autre dimension : je dois d’abord m’assurer de bien comprendre le déroulement, plus exactement la présentation des événements, puis trouver le moyen d’éviter de « traîner » un plus-que-parfait sur plusieurs pages. Passer subrepticement au passé simple ? Parfois c’est possible, parfois non ! Évidemment au cours des multiples relectures qui vont suivre je modifie plusieurs fois les temps. Convaincue un jour par la lecture à voix haute que j’ai adopté la meilleure solution, je change d’avis quelques jours plus tard. Je sais par expérience qu’il faut laisser « reposer » le texte et je ferai les derniers ajustements de temps sur les épreuves.
Autre problème récurrent qui existe sans doute dans toutes les langues : la traduction des expressions concernant la situation locale. Malgré toutes mes recherches, la traduction française ne rend pas compte de la variété des termes qui existent en slovène pour qualifier les collaborateurs et supplétifs des Allemands.
Viennent ensuite des difficultés que je n’avais pas prévues : trouver les traductions françaises de poèmes de Byron et de Goethe. J’ai trouvé peu de traductions des lieder de Goethe et en tout cas anciennes, quant aux poésies de Byron il faut sans doute être spécialiste pour s’y retrouver. J’ai finalement repris la traduction de Byron qui était la plus proche de la traduction slovène en la modifiant légèrement pour que le texte qui suit la citation puisse s’appuyer sur le dernier vers.
Autre difficulté avec le jargon nazi : le héros obtient une carte de circulation après un passage devant une commission d’évaluation raciale qui l’a classé dans le groupe 3. Je trouve facilement sur internet l’expression allemande correspondante, mais pas de traduction française consacrée, je fais appel à des traducteurs d’allemand très pointus, en vain. C’est pour moi une nouvelle occasion de constater, la première fois c’était lors de la traduction de Lojze Kovačič, à quel point tout ce qui concerne les classifications raciales des Slaves et des Allemands d’Europe centrale a été peu étudié en France.

Andrée Lück-Gaye a traduit, entre autres, Boris Pahor, Lojze Kovačič, Vladimir Bartol. Et l’amour aussi a besoin de repos paraît le 5 avril aux éditions Phébus.

Andrée Lück-Gaye
Le Matricule des Anges n°192 , avril 2018.
LMDA papier n°192
6,50 
LMDA PDF n°192
4,00