Comment transposer un livre d’art en une édition accessible ? Comment relier l’Antiquité à des textes contemporains ? Comment faire cohabiter Virgile, Joyce, Joseph Mitchell, le célèbre chroniqueur du New Yorker, et le premier ouvrage d’un inconnu, le stimulant Gus Sauzay ? Les éditions Trente-trois morceaux ont fait le pari de situer les livres qu’elles publient hors des classifications d’usage. Séduites « par des formes insaisissables », elles conçoivent leur catalogue comme « une exposition de pièces indépendantes » qui constituerait « un parcours imaginaire ». Autrement dit, selon leur bon plaisir. Après tout, la liberté ne s’use que lorsque l’on ne s’en sert pas.
La jeune enseigne, fondée à Lyon en 2014, à la ligne graphique impeccable, fonctionne en binôme : Paul Ruellan est galeriste, Vincent Weber, après une formation de danseur, travaille aux croisements des arts de la scène. Les deux trentenaires publient peu : en moyenne deux titres par an. Du dilettantisme ? « Vraiment pas. Nous prenons beaucoup de temps à construire nos livres, expliquent-ils. Nous allons grandir tranquillement. Nous avons des ambitions – bâtir un fonds et le faire vivre – mais pas marchandes ».
Vincent Weber et Paul Ruellan, sur quelles affinités avez-vous lancé les éditions Trente-trois morceaux ?
Nous avions participé l’un et l’autre à la création d’une revue collective – la revue Rodéo et la revue Specimen. C’est d’ailleurs à l’occasion d’une présentation publique entre ces deux revues que nous nous sommes rencontrés.
Les éditions Trente-trois morceaux sont nées rapidement dans la foulée, avec l’idée de nous consacrer le plus librement possible à ce que nous aimions : la littérature, en tant que lieu de recherche, d’invention et de pensée par l’écriture. Cela sans limite de genre et d’époque. Le livre dans sa forme matérielle (Sandra Pasini et Anna Massoni réalisent la création graphique des livres depuis le début) est toujours la forme qui nous semble la plus appropriée à cette aventure. Nous avions aussi le désir de faire de chaque livre l’occasion de manifestations vivantes – lectures, performances, expositions.
Quelles œuvres sont-elles fondatrices pour vous ?
Disons que nous aimons les livres dans lesquels l’acte d’écriture n’est pas recouvert par la quête de son résultat éditorial. Dans ce sens, la littérature serait presque une façon de vivre, dont des livres témoignent de temps à autre – ou non, d’ailleurs. Le surréalisme, qui était une expérience de vie avant d’être un catalogue de publications, est certainement fondateur pour des gens comme nous. En fait les fondations sont multiples, cela va de certains « monuments » (Joyce, Dante…) à des œuvres relevant aussi des autres arts (Silence – Conférence et écrits, de John Cage ; le Journal de Pontormo pour citer deux exemples parmi bien d’autres). Il y a des éditeurs (Ivrea, Maspero, ou plus récemment L’Arachnéen, Héros-Limite, Nous) et des collections...
Éditeur Morceaux choisis
avril 2018 | Le Matricule des Anges n°192
| par
Philippe Savary
Privilégiant le fragment et l’assemblage, la jeune maison d’édition lyonnaise Trente-trois morceaux inscrit son catalogue dans un dialogue sur des pratiques d’écritures plurielles.
Un éditeur