Journal de travail : Années de jeunesse, tome 1, 1963-1968
Depuis sa première mise en scène, en 1963 (il a 19 ans), Patrice Chéreau prend des notes. Sur le sens du texte, les personnages et leurs costumes, leur physique, leur façon de parler et puis les décors, les lumières, les musiques et la composition de l’orchestre, les maquillages, il note tout, détaille tout, creuse chaque réplique, chaque situation, revient souvent en arrière, se trompe, se reprend, le tout pour que soit immédiatement perceptible par le spectateur l’intention de l’auteur. Ou plus souvent, l’intention de Chéreau lui-même… Nous sommes dix ans après la première venue du Berliner Ensemble en France, et l’œuvre de Bertolt Brecht a durablement marqué le théâtre français. Il ne faut plus se contenter de divertir les gens, mais le théâtre doit prendre sa part dans la lutte des classes et la démonstration de l’aliénation d’une partie de la société par l’autre. Il faut éveiller la conscience de classe des spectateurs. Et Patrice Chéreau est un artisan de ce programme : se découvre ainsi au fil des pages un jeune homme engagé, marxiste, militant, sûr de lui et parfois péremptoire : « Labiche c’est de la merde », « Hugo n’a rien apporté au théâtre. Si ce n’est un langage ce qui est malgré tout peu de chose. » Et puis il avait l’habitude de faire des petits croquis en marge de ses notes. Pour détailler un costume ou une attitude. Quelques-uns figurent dans le livre. Le lecteur constate d’ailleurs très vite son intérêt pour la peinture. Il faut dire que son père était peintre et que Patrice Chéreau, enfant, a souvent parcouru le Louvre en sa compagnie. Et sa mère était illustratrice. À la lecture de ces notes, en regardant ces petits dessins, on voit apparaître l’homme de théâtre qu’il fut, l’immense metteur en scène : exigeant, passionné, précis, travailleur, se confrontant à tous types de théâtre avec le même enthousiasme et le même souci de la perfection. Il ne fit pas toujours l’unanimité, mais on avait pour lui de la tendresse. Il s’agit ici du tome 1 de son Journal de travail et la maison d’édition nous en promet six !
P.G.-B.
Journal de travail - années de jeunesse – Tome 1, 1963-1968
Patrice Chéreau
Actes Sud-Papiers, 272 pages, 25 €