La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Sarah song

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Emmanuelle Rodrigues

Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, impossible roman d’amour, est d’une indéniable habileté et d’une beauté fulgurante.

En lisant le livre de Pauline Delabroy-Allard, l’on se dit qu’elle-même pourtant si jeune aura déjà tout lu, tout vu, tout perçu et peut-être tout vécu. Et l’on se plaît à espérer qu’elle n’ait pas dans ce premier livre tout dit, tout écrit. Car ce premier coup d’essai nous emporte aussi bien par ce qu’il questionne de l’art du roman, que par ce qu’il révèle au cœur de la narration, de dissonance, de non-dit, de manque. La narratrice relate la fulgurance du sentiment qu’elle porte à Sarah, son amante dévorante, et de quelle manière à l’instar d’un mal d’aimer certain cet attachement l’aliène. C’est donc le récit de l’adoration que la narratrice lui voue, ainsi que de la fascination qu’elle éprouve pour son talent de musicienne et sa façon brillante d’exercer son art, tandis qu’elle-même tente par les seuls mots de parer la lente déperdition désormais au cœur de sa chair. Si l’une est malade d’amour, l’autre atteinte d’un cancer du sein. Le roman s’affirme porteur d’autant de splendeur que de désarroi, d’autant de clarté que d’obscurité. Il y a au fil du récit comme la rémanence du mythe de la passion amoureuse, où se mêlent amour et mort. Voici Sarah, devenue telle une obsession, « un fantôme », et peut-être, n’a-t-elle été qu’un songe : « Je me demande même si elle existe, elle, Sarah, si ce n’est pas le fruit de mon imagination. »
En deux parties, sont narrés les moments de la rencontre, de la fusion, selon une sorte d’épiphanie érotique, puis de la dépossession, de la déprise, de la chute. Les deux amantes auront saturé de leurs pas les rues parisiennes courant à leurs rendez-vous, tandis que seule dans les rues de Trieste où elle va errant, la narratrice finit par sombrer peu à peu dans une terrible mélancolie, jusqu’au silence ultime. Si la passion est décrite par des accents parfois quasi raciniens, le motif de cet amour qui brûle jusqu’à l’incandescence, qui donc emporte et détruit, jusqu’au risque d’en perdre la raison, d’en perdre toute raison, s’enchevêtre aux thèmes ici sciemment durassiens de l’échec, de la perte de soi, du manque que rien ne vient combler, mais aussi de l’impossible roman d’amour. Ce qui est ainsi dévoyé, et comme perverti, ce n’est pas seulement le tragique que le roman ne saurait tout à fait porter, mais c’est l’enjeu de l’écriture, ses dissonances et ses dissymétries mêmes. La narration elle-même, à l’instar de Sarah, la musicienne, figure omniprésente du récit, devient si ce n’est un personnage du moins le lieu d’une série de mises en abyme, creuset où se révèlent l’envers du récit et cette tension qui le met à distance. On peut lire de la sorte : « Ça raconte ça, ça raconte Sarah qui déambule, entre les lignes de Marguerite Duras. » Ainsi, la narratrice cite-t-elle le fameux dialogue du scénario, Hiroshima mon amour : « Elle : Je n’ai rien inventé. / Lui : Tu as tout inventé. » Ces points de bascule entre figuration et fiction, cet enchevêtrement entre imaginaire et réalisme, donnent rythme et densité au récit. Tout le style de Pauline Delabroy-Allard consiste à harmoniser aussi bien qu’à désaccorder le discours, jusqu’à le saturer de répétitions, de suspens, à tel point que la narration, moins linéaire que circulaire, rend sensible le trouble et la folie amoureuse qui lie les deux amantes.
Ainsi, l’amour fou ne serait-il plus que folle sagesse, gai savoir de nos passions humaines. Car ici, l’écriture jaillit du geste d’aimer, qui telle l’étincelle « illumine la nuit, où du néant surgit la brûlure », et la narratrice d’ajouter : « Aucune mélancolie, jamais. De la joie. Ce printemps est une fête qui dure et qui dure  ». Mais écrire surgit aussi bien d’avoir aimé, et de l’absence et de la souffrance, qui y font écho : « Oui, c’est romanesque, ça, de fuir pour guérir de sa passion. » Et la fable de cette adoration s’élève comme un chant qui peu à peu s’éteint, laissant le silence se répandre lentement. Dès lors, tout ne sera pas révélé, tout ne sera pas dévoilé, tout ne sera pas écrit.

Emmanuelle Rodrigues

Ça raconte Sarah, de Pauline Delabroy-Allard
Éditions de Minuit, 189 pages, 15

Sarah song Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
LMDA papier n°196
6,50 
LMDA PDF n°196
4,00