Des dizaines et des dizaines d’années après un accident nucléaire, une expédition composée de scientifiques et de militaires pénètre dans le territoire interdit afin de mesurer la persistance des radiations et les conséquences sur le biotope. Mais là où tout devrait être aux couleurs cauchemardesques de l’ultime, ces hommes découvrent une nature rendue à elle-même, luxuriante, édénique, où les loups rôdent, où tout est « frôlement, foisonnement, surprise ». Comme s’ils lisaient à paysage ouvert la première page de la Genèse, ils s’enfoncent dans l’intimité de l’Unique, dans un univers en gestation échappant à l’Histoire. Des lieux où se conjuguent absence et présence, où la sensation du temps renvoie à l’animalité, à la peur, à la nuit, à tout ce que nous portons secrètement en nous et dont l’accès, est ici soudain libéré. Situation où le moi est réduit à sa plus simple expression, où la vie et la conscience apparaissent comme des bricolages incessants et paradoxaux, surtout après la découverte de l’existence d’êtres humains vivant dans ces lieux comme réfugiés « dans les plis du temps », et semblant avoir organisé un semblant de société.
Dû à Bruno Gay – une figure connue du milieu de l’art primitif, qui, après des études de philosophie, fut jardinier, galeriste, avant d’être aujourd’hui garçon dans une grande brasserie parisienne –, ce livre montre combien échapper à nos perceptions rassurantes et formatées, nous rend à notre énigme fondamentale. Combien le trouble, la spiritualité primitive, nous libèrent d’une rationalité étouffante, nous invite à méditer sur l’apport des recommencements d’au-delà de l’oubli. Un livre comme écrit sous le ciel d’une autre lumière, celle d’une terra incognita où se cacherait la vérité errante de possibles à déchiffrer dans les miroirs irradiés de l’apocalypse.
Richard Blin
No zone, de Bruno Gay
Léo Scheer, 120 pages, 17 €
Domaine français No zone, de Bruno Gay
février 2019 | Le Matricule des Anges n°200
| par
Richard Blin
Un livre
No zone, de Bruno Gay
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°200
, février 2019.