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Arts et lettres La splendeur du désastre

mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203 | par Richard Blin

En se penchant sur les peintures noires de Goya, c’est la métamorphose du réel en art qu’explore Stéphane Lambert.

Visions de Goya

Artiste emphatique, écrivain qui ne conçoit l’œuvre que comme réponse à un impératif interne, Stéphane Lambert est de ces créateurs pour qui l’art consiste à « faire de ce qui était censé nous abattre la matière première d’un grand réjouissement ». D’où l’importance qu’ont les vies d’artistes dans ses livres : Marc Rothko, rêver de ne pas être (2011) ; Nicolas de Staël, le vertige et la foi (2014) ; Avant Godot (2017) ; Fraternelle mélancolie - Melville et Hawthorne, une passion (2018), tous chez Arléa. Aujourd’hui, c’est Goya (1746-1828) qui le requiert, et plus particulièrement le cycle de ses peintures noires, quatorze fresques peintes entre 1819 et 1823 et rassemblant l’essence la plus égarée et la plus enfermée de son génie.
Comme souvent chez Lambert, le livre prend la forme d’un parcours, d’un voyage à travers une œuvre professant l’inébranlable vitalité de la création face aux assauts des forces destructrices. Goya a tout connu : les humiliations, la maladie, les affres de la guerre, les honneurs aussi. Après des débuts sensuels, colorés, dans une lumière à la Tiepolo, et après les délicatesses plus ou moins vigoureuses des cartons de tapisserie, on voit sourdre dans les scènes de la vie ordinaire ou de la vie rurale, un flux inquiet : les sourires sont des fêlures « qui ouvrent la porte d’autres mondes, enténébrés », les masques révèlent plus qu’ils ne dissimulent tandis que la bienséance des comportements commence à se craqueler. Un travail de sape qui culmine dans le grand tableau de la Famille royale de Charles IV, en 1800, où la décadence et la bêtise de la cour apparaissent de manière impitoyable. « Il y a dans l’art de Goya un don inné de ventriloquie qui fait que le portrait aristocratique tangue entre sa fonction officielle et sa désagrégation voilée, comme un nerf palpitant sous la peau laisse soudainement apparaître son relief. Le naufrage suit son cours sans faire de vague. »
Moraliste de la ruine des chairs et des intelligences, caricaturiste dans les images des Caprices démasquant la fausseté des rapports sociaux, Goya devient peintre tragique avec la série des Désastres qui éclatent de colère et de haine après les défaites et l’humiliation de l’Espagne par l’armée française. Laideur, douleur, accablement, violence, la créature est à jamais perdante devant l’âge, la maladie, les armées, l’injustice de Dieu. Alors, devenu définitivement sourd, Goya va peindre sur les murs de sa maison une série de visions « bousculant les repères de la raison ». Quatorze fresques baignant dans une atmosphère d’énigmatique menace et d’impossible fuite. L’hallucination, la panique, la malédiction et l’abominable avilissement culminent dans des visions délirantes. Comme possédé par son sujet, et emmuré au sein de son infirmité, Goya s’enfonce dans les ténèbres de tout ce qui nous rapproche de l’abîme. « Le voyant sourd ne parvient pas à articuler sa pensée, englué dans sa peinture comme un oiseau pataugeant dans une marée noire. » Mais c’est ainsi que, noyant la nudité de notre condition dans un noir qui rayonne, traverse les corps, les troue, les évide, il conduit son œuvre à sa plus haute splendeur – désespérée autant qu’exaltée.
Cheminement intime dans ce que Baudelaire qualifiait de « cauchemar plein de choses inconnues », ce livre est aussi une réflexion-méditation autour de la création. En faisant interagir sa personnalité profonde et ce qui l’interroge devant ses visions, c’est l’origine de l’acte créateur et la façon dont l’œuvre s’accomplit en se détachant des intentions de son auteur que cherche à cerner Stéphane Lambert. « Créer c’est se séparer de soi – s’effacer dans l’éclat laissé. »

Richard Blin

Visions de Goya, de Stéphane Lambert
Arléa, 100 pages, 16

La splendeur du désastre Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°203 , mai 2019.
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