Zdravka Evtimova annonce la couleur : ce sera des « contes & nouvelles insolites », et D’un bleu impossible encore. La couleur n’est pas seule question soulevée par ce recueil formidable. Il y est notamment beaucoup question d’alimentation, et de toutes sortes, voire de subsistances rares comme dans le texte inaugural, « Le sang de taupe », texte à tout point de vue délectable mais passablement inquiétant. D’une marche discrète et sans falbala, cette nouvelle nous introduit au cœur d’un univers aussi architecturé et plaisant que celui des grands imaginatifs issus d’Europe centrale au siècle dernier. D’un acabit comparable à Beatrix Beck, avec des accents qui rappellent même parfois Annie Saumont ou Gisèle Prassinos, Zdravka Evtimova appartient assurément à la relève des nouvellistes contemporaines. Et si cette seule première traduction ne permet pas de rattraper notre retard – signalons que les USA ont d’ores et déjà intégré « Le sang de taupe » à leurs programmes scolaires… – il nous reste l’espoir repoussé un peu de pouvoir lire plus largement ses romans et la foultitude de ses nouvelles bientôt. On y rencontre des mères abusives, des chiens patients et des médecins suborneurs de future belle-mère, ainsi que quelques exemplaires de cette drôle d’engeance que sont les écrivains : « Il n’y avait pas de quoi manger à la maison, elle restait collée sur son ordinateur comme une chauve-souris, les cheveux épouvantablement ébouriffés, les dictionnaires éparpillés sous la table, par terre, près de l’ordinateur ; Pluie [le chien] était allongé dans son coin. Anna pestait contre les longues phrases, buvait – du lait d’une bouteille, de la bière brune d’une autre –, ce qui faisait briller son regard comme celui d’un malade ». Même peintes avec une pointe d’ironie, ses femmes de lettres sont capables d’entendre la mer battre le recto de leur feuille blanche. Elles peuvent assurément réanimer autant qu’elles le souhaitent les hommes d’un futur hyper-pollué, comme elles peuvent donner leur sang à la multitude. Il semble que cela se soit fait par le passé. Zdravka Evtimova, en tout cas, ne s’en prive pas.
Éric Dussert
Traduit du bulgare par Krasimir
Kavaldjiev, Le Soupirail, 152 pages, 18 €
Domaine étranger D’un bleu impossible, de Zdravka Evtimova
juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204
| par
Éric Dussert
Un livre
D’un bleu impossible, de Zdravka Evtimova
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°204
, juin 2019.