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Intemporels Travail du deuil

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Didier Garcia

Mary Shelley, l’auteure de Frankenstein, a vécu des années douloureuses. En témoigne son poignant « Journal d’affliction ».

Que les étoiles contemplent mes larmes

Lorsqu’elle ouvre ce journal, nous sommes le 20 octobre 1822. Mary Shelley vient d’avoir 25 ans, un âge auquel d’ordinaire on peut encore se permettre de songer à l’avenir. Pour elle, le temps s’est arrêté : elle qui avait déjà perdu trois de ses quatre enfants (une fille prématurée âgée de 10 jours, un fils de 3 ans et une fille d’1 an), elle pleure désormais la mort de son mari, le poète Percy Shelley, qui a fait naufrage trois mois plus tôt dans le golfe de la Spezia.
Fort logiquement, c’est à ce jour funeste qu’elle consacre la première entrée d’un journal qui sera le lieu par excellence de la plainte et de l’épanchement. Comment trouver encore à vivre sans celui qui a été « le soleil » de son existence et dont elle a côtoyé « le génie » huit années durant ? Nous l’imaginons sans peine, la mort lui serait la plus douce des consolations. Hélas elle se doit de rester en vie afin d’élever le dernier enfant qu’il lui reste, le jeune Percy Florence Shelley. La voici donc condamnée à fuir un suicide qui lui tend les bras pour cet orphelin à qui elle doit tenir lieu à la fois de mère, de père et de famille (soit tout ce que « lui dénie un monde cruel »).
La fatidique année 1822 (sur laquelle elle revient plusieurs fois, comme si elle n’avait jamais tout à fait fini d’en découdre avec elle) devient l’épicentre de sa vie, lequel détermine un avant et un après. Ainsi l’année 1824 est-elle dite « l’an deux après 1822 ». Au quotidien, le journal enregistre la lourdeur du deuil : « En chacun de mes nerfs frémit la certitude que ce monde ne recèle plus pour moi qu’amertume. Jeune encore, il n’y a plus pour moi d’espoir possible – il n’y a plus de plaisir. Je pourrais palper les épaisses ténèbres qui me cernent, et je tremble, isolée, à la pointe d’un étroit promontoire rocheux. » Et comme s’il était besoin d’en ajouter, le destin continue de l’accabler, lui enlevant son demi-frère William (emporté par le choléra) et son père, qu’elle veille pendant cinq jours et cinq nuits.
Sa survie, elle la devra à l’écriture. Elle le constate elle-même, les premiers essais sont concluants : « Je me suis essayée (…) à reprendre la plume, et cela m’a été très bénéfique ». En vingt ans (de 1824 à 1844), elle achève quatre romans comptant chacun plusieurs tomes, cinq volumes de dictionnaire biographique, un récit de voyage, auxquels il convient d’ajouter une quarantaine de nouvelles et d’articles, ainsi qu’un travail éditorial considérable.
Fort heureusement, ce journal n’est pas que le réceptacle de ses peines. Nous y croisons aussi quelques figures légendaires des lettres britanniques, à commencer par le poète romantique Lord Byron, qui est à la fois le « tuteur » de Mary et l’exécuteur testamentaire de son défunt mari. Ou Samuel Taylor Coleridge, que Mary semble avoir connu alors qu’elle n’était qu’une enfant. Sans oublier ni Thomas Moore, le poète irlandais, qui a tout fait pour faciliter la carrière littéraire de la romancière, ni Mérimée, rencontré au cours du premier semestre 1828, et qui lui demande soudain sa main, alors qu’elle a le visage encore marqué par la petite vérole.
Le « Journal d’affliction » (sous-titre donné par Mary Shelley elle-même) est donc placé sous l’égide de l’introspection (pendant de nombreuses pages, ce huis clos se joue exclusivement dans sa conscience). Elle y passe le plus clair de son temps à prendre la température de son mal et à mesurer l’étendue du vide qui s’est installé dans sa vie. Il est à la fois un thrène (« voué au silence, à la nuit et à Shelley », il en a la beauté funèbre et déchirante) et le récit d’un combat, la chronique d’une résistance acharnée, que nous lisons comme s’il s’agissait d’un roman, à l’intérieur duquel elle apparaît en héroïne tragique, à qui la vie refuse inlassablement la paix.
C’est une question que tout diariste tôt ou tard finit par se poser : quelle est l’utilité de son journal ? La jeune veuve est trop lucide pour se leurrer elle-même : cela n’apaise rien, car si le journal lui permet d’entretenir un dialogue virtuel avec l’être aimé (ce qui est toujours mieux que rien), c’est également lui qui ravive la douleur dès lors qu’il l’autorise chaque jour à s’exprimer. Pour le lecteur, il en va bien sûr autrement. Malgré les métaphores et les hyperboles qu’elle utilise pour dire la perte et le manque (des figures de style qui datent quand même un peu son écriture), l’authenticité du ton a quelque chose d’attachant. Et quand nous quittons ce journal en 1844, alors qu’il lui reste encore sept années à vivre, nous regrettons de ne pas pouvoir la suivre jusqu’au bout et l’accompagner vers cette mort qu’elle a toujours appelée de ses vœux.
Didier Garcia

Que les étoiles contemplent mes larmes, de Mary Shelley
Traduit de l’anglais par Constance
Lacroix, Finitude, 264 pages, 19,50

Travail du deuil Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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