De(s)générations N°29 (Hospitalités)
Après « Hospitalités », le trentième numéro de la revue De(s)générations interroge les « Inhospitalités ». Aux logiques de l’ouverture, celles de la fermeture, des exclusions ou ségrégations, ne pouvaient pas ne pas être prises dans le filet de l’analyse, non pour opposer une situation à une autre, mais pour en penser les sutures, les dialectiques internes, les écarts. Comme le rappellent les rédacteurs de ce volume, une « enclosure inhospitalière générale structurerait nos hospitalités, traversant ainsi les différents types d’hospices où l’on se retrouve, lorsqu’impuissant, malade, âge ou démuni, il n’y a plus de “place” pour nous dans le monde ».
Ce rapport, presque contradictoire, révèle combien l’inhospitalité n’a pas à être liée à la crise migratoire, mais d’abord aux lois qui la régissent, en décident des flux jusqu’à surveiller (cf. l’agence Fontex) et punir ceux qui ont fait de la loi de l’hospitalité un impératif catégorique. Cette loi, ici rappelée, que Derrida érigea comme le socle infracassable d’une éthique (appelant à la désobéissance civile contre le « délit d’hospitalité » en 1996), le destin des exilés (que les photogrammes du film de Maria Kourkouta et Niki Giannari ponctuent) nous en rappelle la nécessité. De même que les portraits d’hommes et de femmes (d’origine maghrébine, africaine, indienne), que photographia Paola Salerno au métro Porte de la Chapelle, exposent la familière étrangeté de ces visages.
On retiendra combien le relevé documentaire des voix de migrants (précédé d’observations de leur abandon) de Louise Roux répond à l’entretien avec Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc et de leur livre La Fin de l’hospitalité. Ceux-ci analysent autant la généralisation d’une police des récits (empêchant l’empathie et désignant le migrant comme une catégorie disqualifiée sans singularité) que la façon dont l’expérience de terrain fait travailler des notions comme celles de refuge, séjour, habitation, protection. Enfin, Patrick Boucheron expose avec netteté combien la tâche de l’historien nécessite le détour par les images, véritable indice d’une ouverture d’une autre temporalité dans le continuum du temps calculé.
Emmanuel Laugier
De(s)générations N°30, 96 pages, 12,50 €