Hélène Gaudy, photosensible
Rien que du blanc où se blottir ». C’est ce que trouvent les trois héros du nouveau roman d’Hélène Gaudy au terme de leur expédition. L’Arctique, l’oubli. Quelques mois d’errance aux confins du XIXe siècle puis la mise au jour, trente ans plus tard, de leurs dépouilles et de leurs minces traces – papiers, pellicules photographiques : l’histoire de Nils Strindberg, de Knut Fraenkel et de Salomon August Andrée tient en quelques effets personnels et a nourri toute une littérature scientifique. Qu’est-ce qu’une écrivaine peut avoir à dire aujourd’hui de ces hommes envolés jadis dans le ciel polaire ? On apprendra une histoire méconnue en France mais le récit ne révélera rien de plus que ce qui a déjà été découvert. Si révélation il y a, ce sera plutôt une histoire de lumière. D’abord, il faut parler de l’attraction chromatique du blanc, cette couleur paradoxale, à la fois ablation et addition de toutes les autres, manque angoissant et coton douillet, nuancier des pôles. Passée par l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, Hélène Gaudy est sensible aux contrastes et pratique la photographie. Un monde sans rivage, le roman qu’elle consacre à l’expédition Andrée, sans reproduire les photos retrouvées (à l’exception de celle qui orne la couverture), tente de donner à voir des paysages de l’extrême, pris entre le jour sans fin et la nuit dévorante, la visibilité maximale et le brouillage des lignes. Zones blanches, ouvrage collectif dirigé l’an passé, faisait dialoguer des images de voyages et des textes d’auteurs – le va-et-vient entre le réel et son double, déjà, autrement. Le blanc est aussi un refuge pour l’imaginaire ; l’écriture peut s’engouffrer dans les interstices, chercher à combler les suspens de l’Histoire, s’immiscer dans la tête des explorateurs, déchiffrer les silences de ceux qui sont demeurés sur la terre ferme. Mais là encore, le récit se dérobe ; il ne s’agit pas d’écrire dans les blancs, mais plutôt avec eux, à la lisière entre dévoilement et mystère. Nulle vérité à l’horizon mais les fragments d’une quête, d’un processus. Le chemin plutôt que l’arrivée. En témoignent les lignes suivantes, qui peuvent autant s’appliquer aux aventuriers d’autrefois qu’à l’écrivaine aujourd’hui : « Pour s’y rendre (en Arctique), il faut laisser défiler les routes rabotées comme pierre ponce, frottées au blanc, au noir, il faut traverser la mer, suivre les chemins qui peu à peu se défont de tout ce que l’on connaît, maisons, passants, bêtes familières et jusqu’aux arbres, aux plantes, à la plus petite herbe, peu à peu dilués dans l’espace. / Il faut arracher, renoncer, dépouiller. »
Le goût d’Hélène Gaudy pour les terrains non familiers n’est pas neuf. Dans son premier roman, issu de son projet de diplôme d’études, on suivait une femme à travers sept versions possibles de sa fugue ; ce Vues sur la mer (Les Impressions nouvelles, 2006) nous faisait entrer dans sept chambres d’hôtel. Pas le temps de s’installer, tout juste...