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Domaine français Sous la ligne de flottaison

novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208 | par Christine Plantec

Avec Icebergs, Tanguy Viel donne à voir la part immergée de la littérature, celle des coulisses de la création et d’une existence, en dix promenades.

Vingt ans déjà que Tanguy Viel publie des romans. Vingt ans qu’il conçoit et fabrique des fictions aux rouages diaboliques alors que ses personnages semblent destinés à des vies ordinaires. Le plus souvent, un narrateur, interne à l’histoire, prend en charge le récit. Mais si ses propos inoffensifs amenuisent la vigilance du lecteur, in fine celui qui, l’air de rien, raconte l’histoire en sait bien plus que ce qu’il n’y paraît. Les apparences sont toujours trompeuses chez Viel et la nature des forces qui unit les éléments du récit est le résultat d’un travail minutieux, rigoureux, totalement obsessionnel. C’est ce que l’auteur nomme des « vrais livres » : ils ont « cette résistance à la déformation qui permettra à tous d’être déposés là-bas, de l’autre côté de la fable, déplaçant à la surface de l’eau la masse calculée de leur volume ».
Icebergs est un pas de côté ou un « presque livre », un livre à côté des vrais livres. Renonçant à l’aventure narrative régie « par les lois forcenées de la composition et de la nécessité dramatique », le romancier quitte provisoirement la face visible de l’iceberg pour laisser libre cours à sa pente intellectuelle et spéculative sans autre enjeu que de dire celui qu’il est. Sous la forme de l’essai, la phrase serpentine de Viel épouse les mouvements d’une pensée « selon l’ordre sans ordre de la divagation, et qui résonne, dans l’intuition que j’en ai, comme un air de paix intérieure ».
Mais que peut-il se passer lorsqu’un monolithe vertical et puissant se prend à rêver d’horizontalité, de paresse songeuse et de sérendipité ? Cela donne un texte lumineux qui, en dix promenades, s’ouvre sur l’atelier de l’écrivain, un laboratoire silencieux duquel émerge le portrait d’un homme intranquille en proie aux doutes et à l’exigence tyrannique. Une âme mélancolique qui parvient néanmoins « à commuer la peine en expérience active » grâce à une pharmacopée redoutablement efficace dans laquelle on retrouve Montaigne, Valéry, Christine de Pisan, Woolf, Gracq, Beckett, Bernhard et leur esthétique commune faite de répétition et d’inachèvement. Tanguy Viel lecteur se fait volontiers scribe dans sa manie des citations consignées dans des carnets : elles sont « un abri provisoire où consister un instant », leur brièveté épiphanique produit l’effet d’une chaleureuse proximité.
Au fil des pages, étrangement, c’est un peu le Rousseau de la cinquième promenade des Rêveries (qui en comporte elles aussi dix) que l’on voit apparaître. Non pas l’écrivain qui s’exerce à l’autobiographie mais davantage celui qui laisse dériver sa barque tout autant que sa pensée dans un moment où tout est léger et possible. Icebergs crée cette impression de temps suspendu et la métaphore aquatique y contribue largement. Il y a qu’avec elle d’autres motifs s’élaborent comme celui du cercle. Viel y constate que les trajets accomplis par les personnages de Virginia Woolf « finissent par ressembler à des boucles  », que la bibliothèque de Montaigne et celle de Aby Warburg sont ovales, que « toutes les grandes œuvres » comme La Divine Comédie « racontent le parcours qui les mènent à elles-mêmes ». Comment ne pas penser alors aux récits de l’auteur lui-même dont les mises en abîme créent un singulier vertige. L’ouvrage s’achève par un remerciement à Blanchot d’avoir en littérature réfuté l’idée que « les grandes œuvres sont forcément les plus solides ». Or le retour actuel des œuvres viriles, sous la forme de « nouvelles croisades sociétales », ne doit pas occulter la nécessité d’une esthétique de l’instable, du fragile, du silencieux. Celle-là même qui permit au lecteur adolescent d’apaiser ses angoisses et de rêver « à la promesse de pouvoir cultiver à l’âge adulte, le caractère inaccompli de soi-même et avec lui, le prolongement infini de l’enfance  ».

Christine Plantec

Icebergs, de Tanguy Viel
Éditions de Minuit, 122 pages, 13

Sous la ligne de flottaison Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°208 , novembre 2019.
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