Sans concession, Marie-Aimée Lebreton décrit deux années dans la vie d’un appelé en Algérie, de 1960 jusqu’à la déclaration d’indépendance en 1962. Jacques intègre l’armée avec l’insouciance de sa jeunesse. Il a toute confiance en l’avenir et affiche une neutralité de bon aloi : « jusqu’ici il n’avait opté ni pour le ressentiment ni pour la grandeur d’âme ». Au contact d’officiers vétérans de la Seconde Guerre mondiale et de la coloniale, il apprend vite le métier de soldat et les missions particulières qui lui sont confiées au sein de son régiment. Marie-Aimée Lebreton montre avec justesse comment la guerre se gagne aussi, déjà à l’époque, sur le terrain de la communication. Tout est affaire de mots et la guerre d’Algérie évolue dans le monde ouaté des euphémismes. Les militaires sont là pour « accompagner la transition » vers l’ordre. La tristement célèbre « corvée de bois » n’est autre qu’une exécution sommaire de prisonniers. Les troupes ont aussi leur argot et leurs métaphores : « Faire la chasse aux merles » revient à traquer les « rebelles ». Jacques, lui, commence par perdre pied face au décor. À son arrivée en bateau, il est émerveillé devant le spectacle d’une nature brute : « Les falaises taillées dans des blocs de lumière éclairaient le crépuscule naissant. » Une beauté naturelle vite pervertie par la rudesse des affrontements. La lumière devient « blanche et abstraite ». Elle confère aux montagnes comme « une maladie de peau ». Incapable de parler de son mal-être à ses proches restés au pays, Jacques se sent seul. En France, son père et sa petite-amie sont fiers de son engagement. Il ne parvient pas à leur expliquer son véritable rôle. Il craint leur réaction et le syndrome post-traumatique n’est pas loin. En évitant tout effet facile, en procédant par allusions, Marie-Aimée Lebreton relate avec distanciation le tragique destin d’un jeune homme confronté à l’insupportable.
Franck Mannoni
Jacques et la corvée de bois, de Marie-Aimée Lebreton
Buchet-Chastel, 128 pages, 13 €
Domaine français Jacques et la corvée de bois
mai 2020 | Le Matricule des Anges n°212-213
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°212-213
, mai 2020.