Nous sommes sans doute nombreux à avoir déjà entendu une sentence telle que : « Non, mais, tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas d’ici »… « Être d’ici, ou pas », c’est ce qui fait le fil rouge principal et le liant qui assemble entre elles les nouvelles de Yan Lespoux, tout autant que le cadre géographique strict dans lequel elles se déroulent : le Médoc. Un « Médoc qui vous prend à la gorge ou vous serre le cœur », comme le note Hervé le Corre dans sa préface, région relativement récente, puisque créée en grande partie par la plantation de forêts de pins venant combler et modifier les marécages qui en faisaient la spécificité jusqu’au XIXe siècle.
Ici, dans ce pays de sable et d’océan, de vase et de mousse, de landes gorgées d’eau, on éprouve de l’embarras à faire admettre des autres ses propres racines ou plus encore à parvenir à les créer sur place en s’y installant sans qu’on vous rappelle sans cesse à vos origines. Ce lieu a, il faut le reconnaître, certaines difficultés à adopter l’étranger, d’où qu’il vienne, mais plus encore si c’est un Charentais voisin, voire un Bordelais, quand bien même vivrait-il là toute l’année, ou définitivement pire, un Parisien (qu’il soit de passage ou y possède une résidence secondaire), autant qu’il génère chez nombre de ses habitants le besoin d’en partir. Pour résumer, le Médoc peut vous accueillir, mais il y a des limites : « Ils sont bien loin ses rêves d’enfant. Il ne fera rien échouer, pas même un de ces foutus connards en kitesurf. Il ne détroussera pas d’étranger, il laisse ça aux commerçants qui ouvrent une boutique le temps de la saison. » Le recueil est composé de plusieurs sections, intitulées justement « Être d’ici », « Étranger » ou « La Vie en face », « Noyade », « Les règles », comprenant chacune plusieurs nouvelles. On y suit les errements, les balades hivernales, les souvenirs d’enfance et les amours adolescentes, les ruptures et les erreurs, les rumeurs colportées, ou les parties de chasse d’une foule d’individus qui font à la fois tout le sel de la région et sans doute aussi ce qui provoque le désir de la fuir ou de la méconnaître. Ici, la plupart des « aventures » sont foireuses, des faits divers qui parfois virent à la tragédie : braconnage, incendie volontaire, cambriolage… Et le dérisoire a toute son importance, un coin à cèpes peut être un secret le mieux gardé du monde comme on peut être assez stupide pour noyer son chien en lui jetant un bâton à aller chercher dans un océan déchaîné. Ici, « lorsque les beaux jours arrivent (…) on commence à se demander qui sera le premier et quand il y aura droit. (…) Le premier noyé de la saison c’est un peu comme l‘ouverture de la cabane à chichis, la première grosse pousse de cèpes ou la première gelée, (…) ça rythme l’année. »
Yan Lespoux fait preuve d’une écriture précise, juste, sans fioritures ni grandes envolées, mais qui permet de saisir l’instant dans sa dimension et son atmosphère, de croquer des personnages en quelques traits et de les faire vivre suffisamment pour qu’ils portent le récit en quelques pages à peine. Et si au début de la lecture certaines nouvelles laissent parfois attendre une suite, de plus amples développements, on finit par se couler dans le rythme imposé par l’auteur, des récits brefs qui s’enchaînent et alternent en tonalités, parfois dramatiques, parfois drolatiques, souvent décalées, et tous empreints d’une profonde tendresse pour les personnages mis en relief qui vibrent de sincérité simple, quelle que soit leur bêtise ou leur intelligence du monde environnant : « des gens de peu, des vies minuscules, des drames silencieux » souligne Hervé Le Corre. Chaque micro-scène devient un théâtre de l’absurde, de la solitude ou des vicissitudes humaines, un temps suspendu délicatement ciselé qui sait cependant accueillir le lecteur en son sein pour, peut-être, trouver à l’intérieur du livre l’ici qui nous réunit tous.
Lionel Destremau
Presqu’îles
Yan Lespoux
Agullo, 192 pages, 11,90 €
Domaine français Chroniques médoquines
janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219
| par
Lionel Destremau
Presqu’îles, de Yan Lespoux, inaugure très bien la collection « Agullo court », dédiée au genre bref.
Un livre
Chroniques médoquines
Par
Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°219
, janvier 2021.