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Domaine étranger Humains, rien qu’humains

septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226 | par Valérie Nigdélian

Un formidable recueil de nouvelles et un roman en demi-teinte pour continuer d’interroger la question raciale avec William Melvin Kelley.

La réédition de l’œuvre de Kelley se poursuit aux éditions La Croisée (ex-Delcourt Littérature). Après les très beaux Un autre tambour (2019) et Jazz à l’âme (2020), voilà donc l’occasion de se replonger dans la prose délicate du New-Yorkais, disparu après un long silence de plus de quarante ans en 2017. Initialement publiées en revue avant d’être réunies en recueil en 1964, les seize nouvelles qui composent Danseurs sur le rivage déambulent avec grâce et simplicité dans les méandres de la société noire américaine du siècle dernier. Traversent le temps et l’espace, amples et tranquilles, d’un ghetto à l’autre, d’une époque à une autre. Avancent main dans la main avec les frères, avec les sœurs – tantôt fillettes, bientôt mères, tantôt grands-mères –, qu’elles entrecroisent d’un récit à l’autre jusqu’à dessiner les contours d’une communauté prise dans le cours de l’histoire. Superbes portraits d’enfants à la lisière d’un monde d’adultes menaçant et mystérieux. Récits d’initiations à venir, de promesses de révélations, d’échappées nécessaires. Hommes et femmes prisonniers à de multiples titres, cherchant à briser, de leur existence, les barreaux et à trouver leur vérité sous la débauche d’injonctions, de normes et de conventions – qu’elles soient sociales, familiales ou morales – qui tentent de les figer en des masques grimaçants.
Ségrégation oblige, impossible de ne pas voir en cette ode à la liberté de l’individu face à tous les systèmes, écrite au plus fort des mouvements civiques aux États-Unis, une charge implicite mais ferme contre la violence de la société. La longue citation d’Au cœur des ténèbres de Conrad placée en exergue est là pour le rappeler, comme vient le pointer la ritournelle têtue qui s’acharne à catégoriser les personnages selon les plus subtiles gradations de leur carnation – de l’ébène le plus profond à la plus parfaite pâleur, en passant par tous les bruns et beiges possibles.
C’est bien évidemment sur cette sinistre toile de fond que s’élève le propos de Kelley, peut-être moins politique que véritablement ontologique : sous les danseurs sauvages aperçus depuis le fleuve Congo par le capitaine Marlow, comme sous les teintes multiples des peaux, ce sont d’abord des êtres humains qui aiment, tremblent et se réjouissent, souffrent ou s’emportent. Rien moins qu’une évidence lorsque Kelley écrit ces pages – ce qu’il martèlera dans un article de 1967 où il dénonce l’illusion intégrationniste qu’il a un temps entretenue : « Dans la mesure où il est noir, l’homme noir n’est pas un être humain… à cause de sa peau noire, il ne peut jamais être plus que presque humain. » Alors, de page en page, laisser les couleurs s’effacer pour ne laisser vibrer que les cœurs, nus sous la peau.
« Je ne suis ni un sociologue, ni un homme politique, ni un porte-parole. (Le) rôle (de l’écrivain) est de décrire des hommes, pas des symboles ni des idées déguisées en hommes », annonce Kelley en préface. L’aurait-il oublié alors qu’il travaillait à son troisième roman, Dem (soit « Eux »), publié pourtant l’année suivante seulement ? Renouant avec le principe puissant qu’il avait expérimenté dans Un autre tambour, c’est depuis les yeux d’un homme blanc qu’il raconte le racisme institutionnalisé et la mauvaise foi délétère de l’Amérique des années 1960. Son Mitchell Pierce (jailli, soit dit en passant, d’une des nouvelles des Danseurs…), engoncé dans une vie bourgeoise où, sous la surface, plus rien ne palpite, voit son petit monde imploser lorsque sa femme accouche de jumeaux – l’un blanc, qui ne survit pas, l’autre noir, magnifique bébé dont il va chercher à se débarrasser en en retrouvant le père. Larve dévitalisée et névrotique, Pierce ne retrouvera force, désir et joie que chez la communauté noire qu’il arpente maladroitement en quête du géniteur clandestin. Si le ton se veut satirique et la parabole impitoyablement critique, le résultat s’avère seulement très manichéen, et Kelley victime d’une binarité qu’il était par ailleurs le premier à contester – brillamment – dans ses textes antérieurs. Dans Peau noire, masques blancs, Fanon affirmait que « l’expérience noire est ambiguë, car il n’y a pas un nègre, mais des nègres ». Complexité évidente et incontestable, qui rend d’autant moins digeste son application partisane. On espère néanmoins pouvoir s’affronter bientôt à la langue expérimentale de son quatrième – et dernier – roman, encore jamais traduit en France, le dit-on très joycien Dunfords Travels Everywhere.

Valérie Nigdélian

Danseurs sur le rivage et Dem
William Melvin Kelley
Traduits de l’américain par Michelle Herpe-Voslinsky
La Croisée, 240 pages, 20 chaque

Humains, rien qu’humains Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°226 , septembre 2021.
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