Un long et lent travelling sur Philadelphia. Une Dodge, bleu pâle, remonte Oregon Avenue, en quête du Cookie’s Tavern. Des néons, des bars, des clubs, des garages. Des gobelets de café, des donuts, des chips. Des hôtels, anonymes. Des filles, des repris de justice, des recouvreurs de dettes, un Chinois. Tout un monde, grouillant mais lentement, occupé à ses petites affaires, dont on ne sait pas précisément ce qu’elles sont – sinon douteuses à n’en pas douter. Dans ce premier roman de Mathieu Ghezzi, les personnages apparaissent comme en sourdine, sur le fond de la ville, déroulé depuis l’arrière des vitres de voitures qui se croisent, s’ignorent, s’arrêtent, s’éloignent. Edward Hopper n’est pas loin, de ces à-plats de villes, de ces architectures anonymes, de ces couleurs qui n’en sont plus, de ces anonymats subitement illuminés comme pour mieux retomber dans l’oubli. Philadelphia Sour est un roman noir d’où l’histoire n’émerge jamais vraiment, où tout se façonne de jeux d’ambiances, de lumières, de bruits et de silences. Mathieu Ghezzi y ajoute une tonalité particulière, humour à froid, grinçant décalé, qui oriente vers une forme étrange de farce absurde, de tragicomique jouant à la fois des archétypes du genre et d’une réinterprétation tout en finesse de codes par ailleurs éculés – comme pour réajuster leur piquant. La galerie de personnages s’engouffre elle aussi dans la voie du stéréotype, mais là, également, un sens de la description à croquer en trois traits vient bousculer les figures confortablement installées dans nos imaginaires, pour mieux les réexposer, à l’histoire, à l’aventure, ou plus simplement à la lente et longue déambulation, sans but affiché ni grand espoir attendu, à laquelle les contraint Mathieu Ghezzi.
Et si, in fine, on n’en saura jamais beaucoup plus, peu importe. L’important ne tient pas nécessairement au résultat. Mais plutôt à l’art et la manière de parvenir à quelque chose qui s’en rapproche. Et à ce jeu, Mathieu Ghezzi nous offre un parcours original, entre nostalgie et réinvention.
J.C.
Philadelphia sour
Mathieu Ghezzi
Anacharsis, 224 pages, 18 €
Domaine français Philadelphia Sour
février 2022 | Le Matricule des Anges n°230
| par
Julie Coutu
Un livre
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°230
, février 2022.