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Égarés, oubliés Littérature et blanquette de veau

février 2022 | Le Matricule des Anges n°230 | par Éric Dussert

Dreyfusarde et féministe, Marion Gilbert fut une femme de lettres agissante. elle créa le Club George Sand, tout en enseignant à cultiver son jardin…

Qu’elle est nombreuse la cohorte des traductrices passées de presse à néant… Sans chercher très loin, les noms d’Élisabeth Gaspar (traductrice de Roald Dahl), de Laure Delattre (de Kenneth Grahame) ou de Marion Gilbert font surface dans un sourd vacarme à peine rompu par un silence marmoréen. Et pourquoi donc ?
Née Odette Marie Maurel le 4 août 1876 à Montivilliers (Seine-Maritime), elle est la fille d’un pasteur descendant de Fortunatus de Felice (1723-1789), imprimeur en Suisse, auteur-éditeur de L’Encyclopédie dite d’Yverdon et de plusieurs dictionnaires – et d’une mère d’origine anglaise qui meurt alors qu’elle n’a que 3 ans. Elle est élevée avec son frère et sa sœur par sa tante Anna, professeure de piano à Bolbec, cette petite ville manufacturière de Haute-Normandie qui se retrouvera grimée en Beuzeboc dans les romans de Marion. Elle détaillera les mœurs et mentalité de la bourgeoisie provinciale et les conditions d’existence des malheureuses jeunes ouvrières des filatures exploitées durement par leurs patrons. On ne se demande pas d’où vient son féminisme…
Après des études secondaires, Marion Gilbert devient elle-même professeure de piano avant d’épouser à Paris l’ingénieur agronome Léon Bussard en 1902. Il est sans doute à l’origine des deux livres d’économie domestique rurale (Le Livre de la fermière, J.-B. Baillière & fils, 1906) qu’elle signe de son nom d’épouse, Odette Bussard. Elle y transmet des règles d’économie domestique rurale, comme, une trentaine d’années plus tard, ce Comment vivre de son jardin. Manuel de la dame jardinière (id., 1939), un livre destiné aux civils frappés par les sévères restrictions alimentaires de la guerre. En 2022, l’opus peut toujours s’avérer utile pour accompagner notre « retour à la terre »…
L’art principal de Marion Gilbert, c’est le roman. Son premier, régionaliste et de mœurs, Du sang sur la falaise (1915) provoque un scandale à Bolbec car il relate des faits anciens de façon déguisée (un notable se crut obligé, dit-on, d’acheter tous les exemplaires pour tenter d’en stopper la diffusion). Mais le plus célèbre de ses livres reste Le Joug (Ferenczi & fils, 1925) qui manque de peu le Femina mais obtient le prix Northcliff, son équivalent londonien. Si ses romans sont sensibles aux humeurs du paysage normand, on reconnaît ses personnages à leur rudesse typique, leur lenteur, leur économie de mots, et toujours prime sa préoccupation du sort des femmes. « Le ciel violet semblait supporté par les bras blancs des arbres. Elle soupira, s’essuya les yeux et, reprenant le sentier dans l’herbe haute, elle se dirigea, ni fille, ni femme, vers son triste destin de mère sans enfant, vers son avenir martyrisé de tante Fanny. » Furieux contre le jury du Femina, le critique Gabriel Reuillard donne dans Paris-Soir (2 avril 1926) un plaidoyer vibrant qui tourne à l’exécution de Joseph Delteil « clown littéraire ». Il s’avance même un peu, Gabriel : « Elle est de la lignée des Flaubert et des Maupassant et l’écrivain contemporain vers lequel elle alla d’instinct demander conseil, c’est l’auteur de La Maternelle, Léon Frapié. » Et Reuillard, tout ému, de convoquer encore Mirbeau puis, sans frein, de verser dans le total lyrisme des « accortes muses champêtres, inspiratrices des œuvres éternelles », etc. Soit.
Après la naissance de ses deux premiers enfants, la désormais Parisienne Marion Gilbert publie3 des contes et des chroniques au Petit Journal et à La Petite République. Admise dans les cercles huppés, elle fréquente Colette, Lucie Delarue-Mardrus et Marguerite Durand, tient salon une fois par mois, fonde avec la petite-fille de la romancière le Club George Sand destiné à financer de jeunes artistes. Elle crée aussi le Club des Belles Perdrix (sic), qui réunit les femmes gastronomes lors de dîners fins en dehors de toute présence masculine. C’est bien fait, ils se tiennent souvent mal à table.
Si les années d’avant 1914 sont celles du rodage, la période de 1920 à 1940 est celle de la maturité féconde : elle publie quinze romans, une biographie historique, trois livres de contes, un livre d’enquête féminine et un recueil de poèmes. Ses livres sont polytraduits et elle va entreprendre avec sa sœur Madeleine Duvivier, son aînée de six ans, une collaboration fructueuse en matière de traduction (David Copperfield, Les Aventures de M. Pickwick, etc.), même s’il lui arrive de travailler à la hâte avec Thérèse Casevitz pour des éditeurs trop pressés (Ben Ames Williams, Une femme étrange, Ferenczi & fils, 1947). Le brochage est parfois plein de surprises. La vie aussi qui retire à Marion Gilbert son mari en 1943. (Anti-collaborationniste, elle écrivait alors beaucoup mais ne publia rien d’important durant l’Occupation, preuve que c’était possible.) Dans les années 30, elle avait déjà perdu son fils Olivier, auquel elle avait rendu hommage dans un beau livre de deuil, Mon tombeau (1936).
Au terme d’une vie bien remplie, Marion Gilbert s’éteint, elle aussi, à Meudon, le 16 mars 1951. On retiendra de cette féministe qui lutta pour le droit de vote des femmes cette sortie lors de sa conférence « La Conférencière au foyer » qui avait eu lieu à Rouen en mars 1928 : Le « violon d’Ingres d’une femme de lettres, c’est de réussir une blanquette de veau. » Malgré tous ses talents, Marion Gilbert se permettait d’être drôle. On comprend mieux l’engouement de ce renard de Gabriel Reuillard.

Éric Dussert

Littérature et blanquette de veau Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°230 , février 2022.
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