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Domaine français Adoucir les mœurs ?

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Valérie Nigdélian

Retour d’une ironie décapante sur un moment tragique de l’histoire mondiale : quand la France rêvait de « civiliser les races inférieures ».

Histoire navrante de la mission Mouc-Marc

C’est une caricature connue, parue début 1885 dans L’Illustration. On y voit le chancelier allemand Bismark, couteau à la main, debout devant un gros gâteau portant les lettres AF-RI-QU-E. Autour de la table, quelques beaux messieurs un rien effarés attendent poliment leur part. C’est ainsi que Draner, le dessinateur, représentait la conférence de Berlin qui se tint au mitan des années 1880 : une quinzaine d’États occidentaux s’y répartirent alors les richesses du continent noir et y planifièrent leur politique d’expansion coloniale.
C’est pile à ce moment-là et à cet endroit-là que démarre cette Histoire navrante de la mission Mouc-Marc, troisième roman de Frédéric Sounac, que la satire politique semble diablement inspirer (voir, déjà, Lmda N°109). Nous voici donc à Berlin en cette fin de siècle, aux côtés d’un « apprenti diplomate et violoncelliste amateur » répondant à l’improbable nom de Firmin Falaise, que sa jeunesse et son inexpérience ont laissé aux portes de la conférence. Pourtant il a de l’idée, Firmin – et de bonnes intentions. Coloniser ? Certes, oui – il faut bien faire des affaires – mais pas que. Tout colon qui se respecte a aussi des devoirs, et la France un rôle à tenir : à la cupidité des uns et au mercantilisme des autres, « le pays de Montaigne se devait d’opposer sa conception humaniste, en préconisant (…) l’exportation généreuse du savoir et l’éveil des sensibilités ». Civiliser, donc, le mot est lâché. Alors pourquoi ne pas s’atteler à briser, par la musique, « la dure croûte africaine » ? Faire fleurir des « conservatoires de brousse »« le négrillon, plutôt que de s’abîmer les phalanges sur d’abrutissants tam-tams, pratiquerait bientôt le quatuor »  ? On pourrait ainsi, à coups de Bach, Beethoven, Mozart ou Schubert, tirer de ces « races obscures » d’insoupçonnées délicatesses pour, peut-être, sauver « l’état spirituel du monde »  !
Il faudra certes un peu de patience à Firmin, mais le grand départ aura lieu treize ans plus tard. Depuis Cotonou, sur la côte du Dahomey, le lecteur suivra alors, goguenard, la lente et difficile progression de cette troupe invraisemblable, où se mêlent – cherchez l’erreur – violons et fusils, sous le joug de l’autoritaire capitaine Mouc-Marc, aussi austère meneur d’hommes que tyrannique maître de musique. Sans surprise, la farce virera au tragique.
Il y a bien sûr du Conrad dans cette descente progressive au plus profond des ténèbres – où le cœur de l’homme blanc se révèle bien plus sombre que la peau de ceux qu’il prétend « sauver ». Mais de ce terreau horrifique et sanglant, par ailleurs habilement documenté, Sounac tire un récit affreusement drôle et malin ; s’amuse, habile au pastiche, à faire sonner une langue délicieusement désuète et emphatique. Nul besoin pourtant d’en faire trop ni d’appuyer là où ça fait mal : il suffit de laisser entendre le décalage, si crasse qu’il en devient grotesque, entre la violence intrinsèque de la pulsion de conquête et l’idéal de beauté porté par la musique. Une contradiction qui trouve à se résoudre dans cet indicible point commun, porté par la négation de l’autre dans toutes ses dimensions (politiques, économiques, culturelles et sociales) : impérialisme. Des discours aux actes, la ligne est donc loin d’être droite, que Sounac soumet à l’oscillation d’une impeccable ironie. Récit d’un aveuglement et d’une rencontre manquée, cette Histoire navrante rappelle à ceux qui doutent encore des bienfaits de la colonisation que « la générosité et la vertu, dont on avait officiellement bourré le paquetage français, n’avaient jamais pris la mer, remplacées par une gangrène que plus rien, à présent, ne ferait régresser ».

Valérie Nigdélian

Histoire navrante de la mission Mouc-Marc,
Frédéric Sounac
Anacharsis, 128 pages, 14 e

Adoucir les mœurs ? Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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