Bras gauche tatoué comme un repris de justice, barbe de bûcheron canadien ou d’hipster californien, Thomas Vinau cache bien son jeu. Sa voix n’est pas celle du bluesman qu’on attendrait : fluide et claire, elle avance avec beaucoup de précautions dans la relation à l’autre. Sur la terrasse de la maison où il vit avec sa petite famille, il laisse volontiers à son visiteur les rênes de la conversation. Bien qu’on ne puisse en vérifier l’hypothèse, on l’imagine plus à l’aise dans la solitude qu’assis à une longue table de braillards pendant l’Oktoberfest munichoise. Il entre là peut-être un peu de timidité ou la peur bien ancrée d’une déception ontologique. Une retenue, en tout cas, qui explique peut-être qu’il n’ait jamais rencontré ni Pierre Autin-Grenier le voisin de Carpentras, ni Jean-Claude Pirotte avec lesquels, après les avoir lus et aimés, il entretenait une relation épistolaire jusqu’à leur disparition. L’écrivain ne rechigne cependant pas à répondre à toutes les questions qu’on lui pose et il le fait naturellement, sans précautions oratoires. La conversation, à peine arrosée d’un vin blanc tiré d’une bouteille déjà entamée, a permis de convoquer quelques chers disparus à notre table. Mais l’écriture de Thomas Vinau ne procède-t-elle pas aussi de la sorte : naître au royaume des morts, du silence et de la solitude pour tenter de trouver quelques mots à offrir en partage ou pour sceller dans le marbre de la page blanche la trace qu’un moment de vie, fragile et fugace, a eu lieu ?
Thomas Vinau, votre nouveau livre Le Récit des gouffres échappe à toute classification. Il mêle ensemble prose et poème, fiction et citations et fait référence à des récits mythologiques ou des contes. En quoi cette forme hybride vous intéresse-t-elle ?
J’écris entre deux chaises, entre les formes, depuis mes premières publications. Ça a été ma façon de cheminer en écriture et de chercher ma langue. J’ai commencé par essayer de raconter des histoires, longtemps, sans y parvenir vraiment, et puis en découvrant la poésie américaine de la deuxième moitié du XXe siècle, qui d’ailleurs, elle, était écrite par des romanciers (je cite souvent Raymond Carver, Charles Bukowski, Richard Brautigan et Jim Harrison qui ont été et qui restent pour moi aussi fondateurs que fondamentaux), je me suis mis pendant une bonne dizaine d’années à n’écrire et ne lire que de la poésie. C’était comme si j’avais renoncé au roman, mais en même temps c’était une poésie qui pouvait être narrative. Cette période a changé ma façon d’essayer d’écrire et lorsque je suis retourné vers des velléités plus romanesques, depuis disons une douzaine d’années, c’est cette forme hybride, que j’ai trouvé la plus adaptée à mes limites pour raconter mes histoires. La poésie me permettait d’essentialiser un peu mon écriture, de la nettoyer, d’aller à l’os comme les écrivains aiment bien dire, et en même temps le recours à des formalismes parfois, à une phrase plus sensitive, pleine...
Dossier
Thomas Vinau
Brindilles aux lèvres
novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238
| par
Thierry Guichard
S’il écrit pour mieux respirer, c’est avec la délicatesse des sensibles et la politesse légère des désespérés. Peu de mots lui suffisent à saisir la beauté.
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