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Domaine français Traversée du siècle

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Thierry Guichard

Dans ce premier roman au chevet de l’Histoire, Adrien Genoudet use d’une langue épaisse qui déchire les apparences et confère au récit une matérialité impressionnante.

Le Champ des cris

À la suite d’une rupture amoureuse, un homme s’installe quelques jours dans la maison familiale de l’impasse du Champ des cris où il venait enfant. Maison aux odeurs lourdes de graisse et laissée vide après la mort d’Onésime, l’aïeul auquel enfant il n’accordait guère d’attention. Il se souvient d’Onésime et Simone sa femme, leurs corps vieux, meurtris, « je les voyais essuyer leurs babines lourdes avant de se lever difficilement de table pour s’en aller dans l’autre pièce et s’effondrer le temps d’une sieste qui prenait, jour après jour, des airs de mise au tombeau. » Notre homme reçoit chaque jour la visite de Nicole, première amoureuse d’Onésime, ultime porteuse d’une histoire que personne ne semblait jusqu’alors prêt à entendre. La nonagénaire « était la dernière, la seule qui avait vécu toute cette histoire, la seule qui pouvait encore mettre des mots et donner corps, porter et rhabiller les morts, arrêter le givre ; après elle, elle le savait, il ne resterait que les livres et les rumeurs, il n’y avait pas d’alternative. (…) On savait qu’elle irait jusqu’au bout et que j’allais l’écouter ; mais nous savions aussi, dans un coin plus sombre, qu’elle irait mourir et que j’essaierais, de mon côté, de continuer à vivre. »
Ainsi, peu à peu se dévoile l’histoire d’Onésime dont ce serait un euphémisme de dire qu’elle fut percutée par l’Histoire, par les guerres du siècle sanglant. On ne dira rien ici de la vie d’Onésime : le roman, en suivant une chronologie à peine bousculée, nous tient trop en haleine pour qu’on veuille en désamorcer la tension. Entrecoupé des monologues au présent de Nicole et de quelques dialogues reconstitués, le récit de cette vie vaut autant par les événements auxquels elle se confronte que par la langue singulière d’Adrien Genoudet. Parfois de longues phrases viennent épuiser le réel, gratter l’image que les mots font naître pour toucher à la profondeur de la condition humaine. Quand Onésime a 8 ans et qu’il copie dans ses cahiers les devoirs de grammaire, les mots n’ont pas encore l’épaisseur nécessaire pour ouvrir une porte sur le monde : « les mots restaient et tombaient sur la table avec les miettes et la confiture, ils ne collaient pas, ils ne volaient pas (…) ils restaient coincés dans la tête d’un enfant qui n’avait pas encore ouvert le placard ».
Avec Le Champ des cris, Adrien Genoudet semble entrer en guerre contre cet usage des mots qui n’ouvrent aucun placard. Reconstituant à l’aide de la fiction la réalité d’une vie, il faut aller chercher dans la langue assez d’aspérités pour que la lumière portée sur le passé s’accroche, révèle au-delà des faits (divers ou de guerre) la matière même de la vie d’alors. Accorder aux mots d’autres mots qui d’habitude ne s’accordent pas pour que se déchire la toile cirée des clichés. C’est ici « un sourire de gel » sur le visage de Blanche, la grand-mère qui scelle dans le silence un secret trop grand pour elle. C’est, pour évoquer les bombes de 14-18 sur les tranchées, « des ouragans de terre qui retombaient de haut, de si haut, du ciel même, et absorbaient les copains, laissant parfois un cure-dent de baïonnette à la surface. » Comme certains peintres avec leur palette, l’écrivain ici donne à la langue une pâte épaisse, d’où parfois le sens s’opacifie dans les couleurs qui le recouvrent : « il pleuvait des trombes de film noir, un rideau tiré de pluie épaisse, le tout éclairé au bleu lune, et un long glouglou d’épandage ; Matriolet était là aussi, ainsi que Jus de Chique, les mains dans les poches, qui donnait toujours l’impression de sourire devant un porc qu’on égorge. » Un écrivain est né.

T. G.

Le Champ des cris
Adrien Genoudet
Le Seuil, 389 pages, 21

Traversée du siècle Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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