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Domaine français L’art littéraire de l’arabesque

novembre 2022 | Le Matricule des Anges n°238 | par Richard Blin

Autour d’une œuvre majeure du XVIIIe siècle, Pierre Lafargue et Pierre Senges rivalisent d’érudition cocasse pour mieux démystifier utopies modernistes et impostures en tous genres.

Histoire de Martinus Scriblérus, de ses ouvrages & de ses découvertes

Fable malicieuse sur les mœurs universelles, énormité facétieuse, l’Histoire de Martinus Scriblérus, de ses ouvrages & de ses découvertes est la biographie, « faite de pitreries et de quête du sublime », d’un personnage fictif dont le nom est celui d’un cercle, le Scriblérus Club, formé en 1714 par six amis représentant la fine fleur des lettres anglo-irlandaises : Jonathan Swift, Alexander Pope, John Arbuthnot, Lord Bolingbroke, John Gay, Thomas Parnell. Fruit de l’amitié et du divertissement, cette création collective, publiée pour la première fois en 1741, porte la satire à son plus haut degré de fantaisie littéraire. Peu de temps avant Laurence Sterne et son Tristram Shandy, et dans la lignée de Lucien, d’Horace, de Rabelais, y sont dénoncés la bêtise, l’idiotie intellectuelle – « Martinus avait un talent particulier pour changer les bagatelles en choses sérieuses. » –, les faux savoirs, l’esprit de sérieux et toutes les impostures morales, sociales et politiques du temps. C’est à cette polyphonie de la satire, que trois siècles plus tard, Pierre Lafargue et Pierre Senges ont eu envie d’ajouter leur grain de sel ludique, parodique et fantaisiste à souhait.
Pierre Senges en tant que préfacier, et postfacier, pour montrer, avec empathie, combien la satire fut « une consolation remuante et creusante » pour les membres du Club dont il nous conte, au fil de moult digressions et méandres, le « voyage sédentaire vers des lieux jamais atteints ». Et Pierre Lafargue, en tant qu’Annotateur qui, ne négligeant rien, n’épargnant personne, déporte, à la façon d’un septième membre du Club, l’écriture dans les marges du déjà-écrit. Ces notes, au nombre de 438, destinées à calmer les possibles querelles interprétatives, ne font malignement que les amplifier tout en éclairant le lecteur « parfois de biais, parfois à la vapeur de sodium, parfois à la lumière d’une enseigne ». Parodie des notices érudites de nos éditions critiques, satire de satire, elles mettent en doute la réalité de ce qui est écrit et usent sans vergogne du rire, de l’insolence et de l’extravagance tout autant que de cette ironie qui consiste à prêcher outrageusement le faux, pour montrer combien c’est faux, et faire d’autant plus ressortir le vrai. « On a aujourd’hui la certitude que la voix de Calvin était très similaire à celle de Tino Rossi : on s’explique mieux l’envoûtement des fidèles lorsqu’il chantait les Psaumes à l’office. »
Commentateur et glossateur maniant de main de maître coq-à-l’âne et irrévérence, présentation docte et bouffonnerie – « ‘’Lorsque tout à coup’’ : rien ne vous décolle mieux le cerveau de la tête que ces quatre mots-là. Ils contiennent si bien la littérature tout entière. » –, Pierre Lafargue pratique un art de l’arabesque qui met tous les rieurs de son côté. Mêlant les époques et les lieux, il défend le rire libre et savant de la littérature autonome ainsi que le droit absolu qu’a l’auteur de railler et de se jouer des coteries, des obédiences et des discours qui prétendent détenir la vérité. C’est ainsi qu’on croise Mick Jagger, Élisabeth Badinter, Elon Musk, Alice Goffin, Xi Jinping… et tous ceux qu’il aimerait voir renvoyer « dans les égouts de la pleurnicherie universelle, comme dans leur demeure naturelle, les aimables victimes et victimettes, les gentils racisés, les fragiles offensés, les précieux discriminés systémiques ». Car celui qui ironise a toujours quelque chose de sérieux à dire, quelque chose qui lui tient à cœur.
À coups de touches dissonantes, d’incongru, de subtiles mises en résonance, mais aussi en perpétrant le sacrilège de gaieté de cœur, Pierre Lafargue déroute le lecteur, défamiliarise son rapport à la réalité, et tend ainsi à le débarrasser de certaines habitudes de sens. Ce qui rend ce lecteur plus réceptif à la puissance d’étrangeté des savoirs et à leur faculté de dépaysement. « On parvient toujours à s’instruire, même lorsqu’on s’y attarde le moins, c’est fou. » Mais par-delà la portée corrosive de la satire et une forme de narrativité excentrique, c’est le refus de se plier aux lois littéraires amenuisantes comme à la platitude stylistique, qu’illustre Pierre Lafargue. Tout en donnant à penser la littérature comme variation et reprise d’elle-même, lieu de réflexivité et espace où affronter la splendeur de la langue.

Richard Blin

Histoire de Martinus Scriblérus,
de ses ouvrages & de ses découvertes

John Arbuthnot, John Gay, Pierre Lafargue, Thomas Parnell,
Alexander Pope, Henry Saint John, Pierre Senges, Jonathan Swift
fiction traduite de l’anglais en 1755 par Pierre-Henri Larcher
Vagabonde, 343 pages, 19,50

L’art littéraire de l’arabesque Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°238 , novembre 2022.
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