Un livre

Et si les Beatles n’étaient pas nés ?

de Pierre Bayard

Editions Minuit

Une nouvelle fois le grand maître de la littérature-fiction (comme on parle de science-fiction) nous convie à une exploration d’univers parallèles, où la sagacité le dispute à l’inventivité. Ce titre, comme à l’ordinaire avec Pierre Bayard (pensons au célèbre Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?), intrigant voire déstabilisant, renvoie à un film assez réussi de Danny Boyle, Yesterday, dans lequel un jeune auteur-compositeur, à la suite d’un accident, est projeté dans un monde où il est le seul à connaître les multiples tubes des Beatles – et va se les attribuer ! C’est à de semblables décalages, pas de côté, distorsions que nous allons, à notre tour, avoir affaire.
L’auteur, malicieux théoricien, s’amuse alors à créer des concepts. Comme « l’éclipse » : « une œuvre, par son excès de présence, en occulte d’autres, parfois au point de les faire disparaître, en particulier par le type de sensibilité qu’elle promeut et présente comme naturelle pour une époque donnée ». Ainsi la gloire de Shakespeare a-t-elle, au long des siècles, occulté l’œuvre pourtant riche de Ben Jonson, ou, aussi bien, la présence massive de Rodin rendu longtemps fantomatique Camille Claudel, que notre époque sut redécouvrir, mettant ainsi fin à l’éclipse imméritée. « L’influence rétrospective », quant à elle, fut jadis approchée par Borges imaginant son Pierre Ménard, récrivant Don Quichotte, et expliquant que « chaque écrivain crée ses précurseurs ». Kafka, de la sorte, donne à des textes qui lui furent pourtant antérieurs, par exemple certaines Histoires désobligeantes de Léon Bloy, une dimension… kafkaïenne, à laquelle l’auteur n’aurait pas pensé – et pour cause. Pierre Bayard revêt pour finir le costume d’un Zorro justicier en incitant non à éliminer mais à ajouter des noms au « catalogue universel de la littérature et de l’art » : ce serait là une généreuse pratique du « complément d’auteur ».

Thierry Cecille

Et si les beatles n’étaient pas nés ?
Pierre Bayard
Éditions de Minuit, 171 pages, 17 €