Voilà un moment qu’il a quitté ses terres du Jura suisse, l’écrivain-paysan Jean-Pierre Rochat. Ces terres brûlées, c’est son cœur en miettes. Il a raconté ce départ forcé dans Petite brume (prix du roman des Romands 2018). Ce qu’il a laissé derrière lui, c’est une paysannerie méfiante, « les rideaux à moitié tirés », et des jeunes qui font des dettes « pour une mise aux normes de l’agriculture des géants. Fini les trois poussins sous une poule, si on parle poussins c’est par milliers. »
Dans ce nouvel ouvrage sous-titré « Journal d’ici et d’hier » il repart, de son plein gré, mais ce coup-ci ce sont les genoux qui le lâchent. Ce long voyage durera… neuf jours. Mais ça fait un sacré livre au bout du compte. Il a du poids sur les épaules, avec son sac à dos, et il déballe ses « vieilleries » : ce sont les histoires d’antan, à ne pas perdre « dans les courants du temps ». Langue parlée, langue hachée, histoires courtes, comme « des petits tableaux portables ». Il raconte sa vie d’avant, avec les chevaux, avec les taureaux, ce qui explique pourquoi aujourd’hui il a mal aux os. Et cette belle bergère, pour qui il se damnerait, jusqu’à faire des allers-retours, comme une bête de somme avec des kilos sur le dos, à lui monter là-haut dans les alpages. Pas un merci de la Princesse. Peu importe, le narrateur pense que « quelque part quelqu’un m’attend ». Il finira par trouver gîte et couvert contre travail dans une ferme, même si « ça puait grave la pisse de chat dans la chambre d’ami, à cheval borgne on ne regarde pas les dents, j’étais pas difficile, comprenez, après deux nuits de glaciation sévère cette chambre à demi chauffée c’était le paradis des humbles ». Après avoir aidé le paysan, il repart avec un ânon, Roméo, qui était promis à l’abattoir.
Textes brefs, sans direction – où va-t-on ? que lui veut cette juge ? –, lire Rochat, c’est voir se dresser les personnages, les rencontres, les lieux, au fur et à mesure où il les voit, et ça peut-être à l’envers, de travers, et ainsi va la langue, qui te parle directement à toi le lecteur, tu es pris dans cette galère et dans ce voyage qui tourne en pénitence.
Virginie Mailles Viard
Les Mots comme des lapins lâchés dans la nature
Jean-Pierre Rochat
La Chambre d’échos, 102 pages, 14 €
Domaine français Les Mots comme des lapins lâchés dans la nature
janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Les Mots comme des lapins lâchés dans la nature
Par
Virginie Mailles Viard
Le Matricule des Anges n°239
, janvier 2023.