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Domaine étranger Jardin tourmenté

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Thierry Guinhut

Un roman historique flamboyant au cœur de la Renaissance italienne.

Météoriquement paru en 1962, Bomarzo fut interdit pendant dix ans en Argentine, sans doute parce que son personnage parut trop peu moral. Il est étonnant que le chef-d’œuvre de Manuel Mujica Láinez (1910-1984) soit chez nous ignoré, bien que traduit en 1987. Et stupéfiant qu’un auteur argentin connaisse si intimement la Renaissance italienne pour y planter un irremplaçable héros.
Un fils bossu naît malencontreusement au château de Bomarzo, dans la prestigieuse famille Orsini, ornée de condottieres brutaux, de prétendants à la papauté. Nous sommes au XVIe siècle, où l’on croise le sac de Rome, le couronnement de Charles Quint à Bologne, le David de Michel-Ange et les pinceaux du Titien. Ce fier bossu, méprisé, parfois jeté dans un placard au squelette, battu par ses frères, ne trouve consolation et conseil qu’auprès de sa grand-mère Diane, « déesse sans âge ». Comme en un roman de formation, son caractère doit être forgé par les avanies et les ambitions. Sa destinée se veut empreinte de vengeance et de beauté.
Bien entendu il est question d’amours. Mais le beau visage au corps contrefait peut-il espérer ? Une Adriana digne de pétrarquistes poèmes, une Penthésilée courtisane luxueuse, une luxurieuse Nencia ne suffiront pas à apaiser celui qui devient duc par la grâce de la mort de son père et de son frère aîné, en de coupables circonstances. Le mariage avec Giulia de Farnèse le comblera-t-il ?
Sans fard, Francesco Pier Orsini narrateur n’omet ni ses frasques, ni ses vices, ni sa jalousie. Le brillant cynique, la « brindille dans le tourbillon des passions », l’« esprit aristocratique enivré de sophismes rhétoriques », n’a cure de paraître sympathique. En une ère où conflits politiques et religieux bouillonnent, où l’alchimie fascine, il est à l’image de son temps, le crime côtoyant la splendeur de l’art. Ce n’est pas un hasard si la « Bouche d’Enfer » est le fleuron du légendaire parc de sculptures qu’il eut à cœur de construire. Voilà qui n’empêche pas la récurrente dimension morale : « Le souvenir de nos ridicules, de nos grotesques égarements a plus de pouvoir que celui de nos réussites ».
Entraînante, somptueuse est sans cesse l’écriture. La richesse de la pensée côtoie la vivacité de l’action, le relief et la couleur des descriptions, telle que jaillies des tableaux de Lorenzo Lotto, qui fit le portrait de notre duc, et des fresques de Gentile Fabriano. En outre les modèles littéraires, du chevaleresque Roland furieux de l’Arioste au Courtisan de Castiglione, jusqu’au Prince de Machiavel, ne sont pas en reste.
Tout cela paraît obéir scrupuleusement aux attentes du roman historique. Toutefois, eu égard à l’horoscope établi lors de sa naissance, notre héros serait promis à l’immortalité. Ainsi, quoiqu’il meure empoisonné, notre duc d’Orsini fait mention de Freud et autres anachronismes, dans le cadre du réalisme magique.
En fait le roman intensément baroque se propose d’offrir les clefs du jardin de Bomarzo. Chaque sculpture, si étrange soit-elle, est une allégorie des vices et vertus du personnage, une figuration des protagonistes, des événements qui le firent mûrir, de l’art qui seul reste : « cette terre exigeait de moi l’expression allégorique de son secret (qui) se confondait avec ma propre vie ». Une si brillante autobiographie fictive ne peut-elle pas être comparée aux Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, publiées peu d’années avant, en 1951 ? Certes l’époque, celle de l’Antiquité, n’est pas la même, et l’écriture diffère, mais l’ampleur du talent ne peut que les unir secrètement. Il n’en reste pas moins que Manuel Mujica Láinez, auteur d’une douzaine de romans à découvrir, prend pour nous soudain place parmi les plus grands écrivains argentins, Jorge Luis Borges, Julio Cortázar, César Aira…

Thierry Guinhut

Bomarzo
Manuel Mujica Láinez
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Catherine Ballestero
Le Cherche Midi, 928 pages, 22,50

Jardin tourmenté Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
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