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Domaine étranger Une autre vie

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Dominique Aussenac

En disc-jockey sensible et mutin, Tom Drury mixe les genres et impose une dimension narrative développant des contrastes inattendus.

Le Ruisseau noir

Tom Drury prend-il la vie au sérieux ? Et l’écriture ? Elle s’apparente chez lui à un slalom, une façon décalée d’être au monde, de le vivre à contresens. Une superstition répandue à travers les âges prétendait sauver des sorts et des présages les êtres qui enfilaient leurs habits à l’envers. Tom Drury pratique le décalage. Est-il trop tendre pour affronter directement le réel ? Débonnaire ? « Roman débonnaire », c’est ainsi que Nicolas Richard, son traducteur, qualifie Le Ruisseau noir dans son excellente postface. « Drury propose une façon originale de raccorder les entrelacements de nos vies. La réalité ne serait donc pas seulement ce qui nous tombe dessus, mais l’art de relier ce qui arrive. » Toutefois un roman prétendument débonnaire peut cacher bien des choses…
Drury est né en 1956 dans l’Iowa. Après avoir été journaliste, il suit un cursus universitaire de creative writing. Le génie s’apprend-il ? Difficile toutefois de faire entrer Drury dans une case, tant il peut mélanger les genres, être emphatique dans l’exploration du banal, inverser les situations, amener vers des comportements et des émois inattendus… Auteur de cinq romans localisés la plupart dans le Midwest, grenier à blé des États-Unis, dont une trilogie, celui-ci est en fait son troisième ouvrage publié en 1998 et s’avère plus erratique puisqu’il nous fait voyager des States en Belgique et même jusqu’en Écosse. « Le ciel vespéral se parait de teintes de bleu toujours plus foncées. Paul refusait de croire au cliché selon lequel les autoroutes étaient dépravées et artificielles. » S’il excelle dans la description des paysages, notamment des cieux, ses galeries de personnages impressionnent par leur pittoresque et leur vérité. Comme s’il éprouvait de la tendresse pour eux. Il y a donc Paul Emmons, le héros, un comptable qui se retrouve à l’insu de son plein gré à fricoter avec des gangsters. Amené à déposer contre eux, il doit changer d’identité, fuir en Belgique. Ce séducteur abandonne alors femme et nouveau-né, par ennui trompe son meilleur ami, boit allègrement, tout en s’avérant éminemment sympathique parce que doté d’une sensibilité à la fois profonde et elliptique. Drury aime à cultiver les contrastes.
Son épouse Mary a « l’odeur chaude et sableuse des copeaux de crayon à papier ». Jeune veuve, elle mène sa vie de femme (enceinte) et de mère sans être perturbée par les frasques de son nouveau mari. Un autre portrait féminin attire l’attention, cette fois en creux puisque la personne a disparu, noyée dans le lac. Suicide ou crime ? Toujours est-il que Paul occupe sa maison et finit par enquêter, ce qui le mène très loin. Quant au chef de la mafia, Record, si à l’instar du capitaine pirate il brandit un crochet à la place de la main, il dénote par ses soucis écologiques, moraux et esthétiques. Pas question pour lui de participer au lucratif marché de boues radioactives, ni de pratiquer l’usure. Ce qui n’empêchera pas un de ses caporaux d’ouvrir la joue de Paul d’un coup de couteau. La vie de ce dernier tiendra alors à un fil. L’imitation du Ruisseau noir, un tableau du peintre John Singer Sargent, représentant une jeune femme aux traits japonisants sur fond de cours d’eau mystérieux devra être parfaite. C’est Mary qui doit l’exécuter. Tom Drury n’en finit pas de lancer de nouvelles trames narratives, d’occulter leurs fins, comme si elles lui importaient peu. Ce qu’il désire, c’est faire palpiter la vie, recueillir au terme d’une description, d’une narration, un pixel, un tout petit élément dans lequel il va inoculer une dimension poétique émouvante à l’instar de ces photos noir et blanc où seul un oiseau, un détail apparaît mordoré. Ainsi dans le premier paragraphe, le couple découvre un chien dans un véhicule en plein soleil. Mary est prête à briser une vitre pour sauver l’animal. Un attroupement houleux se forme. L’émotion est à son comble. Lorsque le propriétaire du chien arrive, son explication fait complètement retomber le soufflet de l’inquiétude. « Tu sais ce que je me dis ? a demandé Paul. Mary a fermé un œil et secoué la tête. Ce chien aurait pu sortir de ce camion sans le moindre problème. Mary a souri d’un air contrit, ses longues jambes étendues en travers de la couverture rouge. - Tu te souviens quand tu m’aimais ? a-t-elle demandé. - Je t’aime maintenant. - Pas comme tu m’aimais alors. »
L’écriture de Drury jubile, passe du policier au fantastique, décrit les mœurs de ses contemporains sans les moraliser, redevient intimiste, écrémée du pathos des émotions. Elle passe ainsi facilement du rire tonitruant à une qualité de mélancolie vive et lancinante tout en créant une musique étrange et familière. Les dialogues incisifs, souvent pince-sans-rire agitent vivement le récit, le colorent, laissent des mots, des phrases en suspension. « La restauration semble facile à l’investisseur novice, mais il faut être futé pour survivre, a dit Paul. - J’ai toujours été futé, a dit Record. - J’espère que cet endroit est assuré, a dit Paul. Il y a plein d’incendies sur cette route. - Il y a de grosses sécheresses.  » Amusant et édifiant à la fois.

Dominique Aussenac

Le Ruisseau noir
Tom Drury
Traduit de l’anglais (États-Unis)
par Nicolas Richard, Cambourakis,
404 pages, 24,50

Une autre vie Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
LMDA papier n°239
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