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Domaine étranger Trous de mémoire

février 2023 | Le Matricule des Anges n°240 | par Dominique Aussenac

Natif d’Ibiza, José Morella enquête sur la folie de son grand-père et du monde passé. Ironique, grave, touchant.

Une île offre un territoire littéraire singulier, à la fois huis clos et lieu de passage, dedans et dehors. Une famille, fût-elle en archipel, présente les mêmes caractéristiques. Celle de José Morella, né en 1972, vient du dehors, d’Andalousie, elle a émigré à Majorque depuis trois générations. L’écrivain, lui, a un statut particulier. « Toi t’as été le premier, me dit-elle tout à coup comme un cheveu sur la soupe. De quoi tu parles, maman ? Comment ça de quoi je parle ? De quoi donc veux-tu que je parle. Toi t’es né à la pire époque. Tu as été le premier à naître sur l’île. Et à l’hôpital. Jusqu’à ce que tu viennes au monde, personne dans la famille n’était né hors de la maison. Et encore heureux, grâce à Dieu, parce que c’était horrible. Sur l’île, la moitié des bébés et des mères mouraient. Nous, les Andalous, sommes tous arrivés d’un coup et les médecins ne s’en sortaient pas. C’est un miracle que tu sois en vie. C’est fou ce qu’on aime exagérer dans cette famille. »
Pernicieux effet du tourisme, sur l’île deux populations se croisent sans se mélanger. L’une est là pour se défoncer, faire la fête, pousser les limites de la liberté, l’autre pour trimer tout en étant assujettie à la dernière dictature européenne, le franquisme. Certains vivent la nuit, apparaissant le jour, tels des zombies défaits. Les autres vaquent à leurs occupations, sans les voir, tout en sachant que c’est grâce à eux qu’ils survivent. Ile dans l’île, la famille Morella, d’extraction très populaire, présente un atoll plus ou moins caché et environné de mystères, Nicomedes Miranda, le grand-père fou. En interrogeant ses proches, son petit-fils veut découvrir le pourquoi et le comment de cet homme interné deux fois en asile psychiatrique. Le portrait qui s’en dégage est celui d’un inadapté à une société en mutation, qui vit ses émotions comme des chaos vertigineux. Lorsqu’il voit sa future épouse à la fontaine, il est ainsi saisi d’une fureur archaïque qui lui fait projeter à grand fracas toutes les cruches des porteuses d’eau. Être pudique, paniqué, il mettra quatre jours à se dénuder devant sa femme et faire l’amour. Cet homme aurait eu besoin de soins, de reconnaissance et d’attentions à une époque où la survie alimentaire accaparait toute l’énergie et où la psychiatrie était aux mains de la dictature militaire. « Ils décidèrent de mettre dans la même case les malades mentaux, les opposants politiques, les veuves des rouges, les gays, des délinquants de droit commun et les athées. Il s’agissait de faire disparaître au monde et aux yeux des gens, en même temps et au même endroit, le sexe libre, libéré, l’idée de justice sociale et de folie. Une bonne bouillie de préjugés. »
Autour de son aïeul, Morella, qui professe l’écriture créative et est l’auteur de plusieurs romans (West End étant le premier traduit en français), dresse une galerie de personnages. Ces derniers ont en commun aussi des difficultés d’adaptation. Ibars est un médecin ouvert et rationnel. « Sa voix grave et ses phrases courtes et lucides poussaient à lui donner raison avant même d’entendre ce qu’il avait à dire. » Il passe son temps à sauver. « Comas éthyliques. Noyades, chutes du haut des balcons, overdoses. Coups de poing… » Jusqu’à ce qu’il reçoive un patient qui, avec un appareil qu’il avait lui-même fabriqué, s’est perforé le crâne afin de ventiler son cerveau. Enquêtant, il s’aperçoit qu’un gourou sur l’île propage ce moyen de retrouver des émotions venues du fond des âges. Petit à petit, Ibars fera partie de son cénacle, doutera et se persuadera de l’utilité de cette trépanation… Baxter est anglais, chargé de s’occuper de ses ressortissants plus morts que vivants. Il ne peut plus assumer de communiquer à des familles le décès accidentel mais toujours terrible et plus ou moins suicidaire de leur rejeton et démissionne. Mamacarmen, la mère de Nicomedes, sage-femme qui donne la vie et accorde le monde à son contexte à coups de baffes et de vexations apparaît ici telle une figure hiératique. Elle incarne la dureté du Temps ancien. Apparaissent aussi de véritables salauds, Vallero Najera, militaire fasciste et psychiatre, Maria Topete, directrice de la prison des Mères Allaitantes de Madrid dont la vocation était de « séparer les mères de leurs enfants pour leur extirper le gène rouge de l’Espagne ».
Il est salutaire aujourd’hui de donner les noms des responsables des folies idéologiques. José Morella n’en retire ni joie, ni revanche, mais s’interroge toujours sur d’où il vient, ce qu’il est, n’osant anticiper avec un ironique détachement ce qu’il adviendra. Notre mémoire est aussi une île qui nous réserve d’incroyables surprises. D’une écriture pleine, claire, vibrionnante, West End en est une autre.

Dominique Aussenac

West End
José Morella
Traduit de l’espagnol par Maïra Muchnik,
Signes et balises, 370 pages, 24

Trous de mémoire Par Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°240 , février 2023.
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