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Domaine français Les trois chambres

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Christine Plantec

Alors que Sereine Berlottier est au chevet de sa mère mourante, Franz Kafka s’invite auprès d’elle, dans ce temps suspendu de l’attente anxieuse.

Avec Kafka, cœur intranquille

Avec Kafka, cœur intranquille, neuvième opus de Sereine Berlottier, est le lieu d’un tremblement tel que la vie frémit, palpite et s’amenuise. Et la peur, bien sûr se fait jour, celle de Kafka qui en fut pétri, celle de la narratrice qui tente de l’éloigner face à l’imminence de la mort de sa mère, celle d’un récit qui, dans un petit carnet vert, avance par fragments, petits bouts de phrases, réminiscences, rêves, citations, notations autobiographiques. 196 proses courtes dont un passage des Derniers cahiers de Kafka, convoqués dès le début, en indique le cap : « L’écriture se refuse à moi. D’où le projet autobiographique. Pas une biographie, mais investigation et mise au jour des plus petits éléments possibles. Ensuite je veux me construire à partir de là comme quelqu’un dont la maison ne serait pas solide, qui voudrait s’en construire une autre à côté, solide elle, si possible avec des matériaux de l’ancienne. »
Si Kafka borde ce récit d’une agonie, si Berlottier prend appui sur ses Journaux, sur les éléments familiaux, sentimentaux (Felice, Milena…), amicaux (Max Brod) de la vie de l’auteur pragois, K. n’en est pas le sujet. Mais de quoi alors parle cet opus ? Quel paysage tente-t-il de traverser ?
« Il n’y aura pas de récit mais y renoncer est-ce te perdre encore ? » questionne Sereine Berlottier. La réponse est dans la question, elle est là, au cœur même de l’interrogation qui dicte une forme (celle de la discontinuité fragmentaire) et une nécessité (écrire sur sa mère afin de ne pas la perdre une seconde fois). Ainsi il sera question d’ombres errantes, de couloirs, de fenêtres, de chevaux lancés au galop, de silences, d’oiseaux et de saisons, de terriers, de livres nécessaires. Il sera question d’attente, de salle d’attente, de lits, de solitude et de regrets. De cette hybridation faisant navette entre Kafka, le carnet de notes, l’hôpital, de ces trois chambres d’échos particulières émerge une émotion vive et délicate, quelque chose comme « une onde silencieuse » et pudique qui nous permet d’aller au plus près de « la douleur qui mène au silence. La notation du fer dans la chair, l’écriture, l’étude des plaies, leur étendue ».
Parfois les deux femmes, côte à côte, mère et fille, lisent dans la chambre : « Je lis près d’elle, elle lit près de moi. J’apporte des livres et d’autres livres encore. Certains ne seront pas ouverts, pourtant il me semble, ces jours-là, qu’il n’y a pas de meilleure offrande, pas de meilleure manière d’habiter le temps », une solitude à deux comme un compagnonnage. Celui-là même que l’autrice entretient depuis longtemps avec Kafka.
« Un livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous » se souvient Berlottier d’une phrase de K. notée dans un carnet. Peu à peu, le lecteur accepte d’aller vers cette faille. « Pas d’allégorie, rien ». Pas de pathétique, ni d’impudeur mais des bordures et du vide puisque « le lit (de la mère) a la forme d’une forme de barque à présent ». Peu à peu, on accepte de ralentir comme pour se mettre au diapason d’une respiration dont le rythme s’estompe. Or c’est cela qui est proprement bouleversant dans ce livre : à mesure que la fin approche, on ressent « une très intense sensation de ralenti ». Si l’expression est de Jean-Christophe Bailly et qu’elle décrit la lecture, Berlottier nous en donne elle aussi une image éclatante : « Lire lentement, plus lentement encore, un peu comme si on descendait le livre en chasse-neige, très lent chasse-neige. Temps parfait, soleil éclatant, la nuit ne tombe jamais, elle descend. » Et quelles que soient les épreuves, et surtout s’il y en a, prendre ce temps, habiter cette lenteur nécessaire, se laisser glisser vers Kafka ou d’autres auteurs, accepter d’être accompagné. Comme si les livres étaient le lieu d’une recherche, d’un déchiffrement et peut-être d’une élucidation, comme si lorsque les mots et les êtres chers viennent à manquer, il était toujours possible de se mouvoir.

Christine Plantec

Avec Kafka, cœur intranquille
Sereine Berlottier
Nous, 130 p., 16

Les trois chambres Par Christine Plantec
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.