La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

À la pointe Retour à Picard

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241 | par Gilles Magniont

On dira ce qu’on voudra, mais le Matricule c’est quand même la bonne planque. Une idée de chronique, et nous voilà dans l’avion : direction Oslo, ambassade de France, « Three days of conversations, lectures and events from Edouard Louis’s writing and work », et ce en présence de l’intéressé. Des conférences, des performances, des étoiles plein les yeux – mais vous y étiez sans doute, ou on vous aura raconté ; autant revenir alors à Changer : méthode (2021), qui vient de reparaître en poche pour un prix ridicule.
Barthes s’était naguère enchanté de quelques pages de Chateaubriand, où tel mot très improbable fait irruption, fait frissonner le sens et fait entendre autre chose  : quelque chose d’impensé, brisant le cours du récit, quelque chose où résiderait le propre de la littérature. Conception un peu sommaire, à quoi il faut désormais objecter : Changer : méthode. Car la force d’Edouard Louis, sa qualité très moderne, c’est précisément d’empêcher ces ruptures vantées par Barthes, et de donner à son acheteur exactement ce qu’il attend. Dans son « odyssée » du changement, des faubourgs d’Amiens aux grandes artères américaines, il suffit de le laisser nous remplir le caddie : d’abord, il met les premiers succès (au théâtre de l’école) : « c’était comme si tout à coup le bruit des applaudissements recouvrait le bruit de toutes les insultes » ; puis dépose les premiers dîners chez les bourgeois, où « le rouge du vin scintillait à la lumière des bougies » ; par-dessus, les invitations dans des restaurants luxueux, quand, « à la lumière tamisée (…), à la fin du repas, le chef venait nous saluer » ; et hop il glisse ces ducs et princesses avec qui il a « mangé du caviar et bu plusieurs fois par semaine des champagnes rares »… Reste un peu de place pour l’écriture de ce livre, dans l’appartement new-yorkais d’où il entend, par les fenêtres, « les sirènes de police, au loin ». Qui dit mieux ? Maison = fenêtre + porte + toit pointu. Le cheminot ? Il a « sur son corps une odeur de graisse et de métal ». Stade fascinant de hyperconformité : dans ces nouvelles paroles gelées directement micro-ondables, c’est toutes les images qui brillent d’une parfaite traçabilité – la scène de rupture a un « goût de cendre » –, et c’est tout le discours qui se trouve frappé par l’évidence des consécutions, comme ce « dégoût pour l’injustice et la pauvreté, parce que je les avais éprouvées dans mon corps ».
L’ambition est énorme – mais même l’intelligence artificielle a ses limites. Pourquoi ne pas l’admettre, demeurent ici d’inévitables scories : des trucs que le lecteur ne pouvait anticiper. Par exemple, la question de l’implantation capillaire, qui demeure un peu opaque. « Je suis allé dans une clinique pour redessiner la ligne de mon implantation capillaire » – mais comment se peut-il ? ricanent alors quelques idiots comptables au fond de la classe, à côté du radiateur. À ceux-là, opposons l’axiome 221 de la Transfugie : celui-là qui n’a pas souffert de Violences Systémiques et Sociales, il ne pourra concevoir le douloureux impératif catégorique de l’implantation capillaire. Ou mieux encore, laissons à Edouard le soin d’instruire louis-même son procès : « Est-ce que j’utilisais Ludovic ? Est-ce que je m’étais rapproché de lui parce que je pensais qu’il pourrait m’aider dans mon projet d’arrivée à Paris ? Je ne le pense pas » (nous non plus). Et plus loin : « (…) peut-être que je le flattais un peu mais ce n’était pas pour lui faire du mal, ce n’était pas le cynisme qui me faisait agir mais le désir d’être aidé, presque le désespoir de l’être. » C’est bien là qu’on réalise combien la conscience politique a progressé aussi vite que la machine littéraire : Bel-Ami avait certes ses bons moments, mais il eût été infoutu de verbaliser cet audacieux concept, le presque désespoir d’être aidé. Pour en rester à 2023, qu’ils en prennent de la graine, ceux à qui on n’écrit pas des lettres de recommandation, ceux pour qui on ne prend pas rendez-vous chez l’orthodontiste, et qui ainsi ne s’exposent pas à cette « fatigue extrême du devenir et de la métamorphose ».
La nuit tombe sur Oslo, c’est joli mais frisquet.

Retour à Picard Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
LMDA PDF n°241
4,00