Lichen de Magali Mougel est une pièce qui vous laisse intranquille et vous poursuit. Comme un écho de ce qu’a vécu l’autrice pendant sa résidence d’écriture à Lens en 2017- 2018 à l’invitation de la Scène nationale du Bassin Minier du Pas-de-Calais, Culture Commune.
Elle raconte : « Un jour, je me suis alors retrouvée dans une concertation citoyenne pour la réhabilitation d’un quartier de Lens. Celui qui se situe en face du Louvre-Lens. (…) À côté de moi, il y avait cet homme, seul, avec enfants. Il découvrait que dans chacun de ces projets de réhabilitation, quoiqu’il se passe, sa maison allait être rasée. (…)
Je n’ai pas parlé à cet homme. Mais la crispation sur son visage, l’angoisse dans ses yeux de ne pas savoir de quoi demain serait fait, ne m’ont pas quittée. (…)
En avril 2018, je rentre chez moi dans les Vosges et je reste pétrifiée.
Je disparais alors secrètement, invoquant des problèmes d’emploi du temps. Je stoppe un temps ma résidence. Sans véritable explication. C’est cet homme. Ce père de famille. Celui de la concertation. Son visage ne me quitte plus.
Quand j’ai repris le chemin de ma résidence (…) me viennent un matin ces mots : « je ne suis pas là pour une carte postale pour l’agglo de Lens, ce que je dois raconter c’est ce qui est d’abord laissé pour compte ».
Au printemps 2019, j’exhume le visage de celui à qui je n’ai pas parlé.
Il devient celui qui se bat pour ne pas tout perdre dans Lichen.
Le texte commence là. »
Lichen s’ouvre par une citation d’Heiner Müller : « Je reviendrai hors de moi/ Un jour en octobre en chute de pluie. » comme une invitation à intégrer la poésie dans ce rude récit de vie. La pluie va d’ailleurs s’infiltrer dans la maison tout au long de ce texte écrit en deux parties, le temps de deux journées. Encadrant ces deux parties, il y a un Avant. Où l’autrice prend la parole en son nom : « Je suis à Loos-en-Gohelle et le premier homme amoureux des pigeons que je rencontre disparaît, brutalement. Une corde à la main, il se pendra dans son garage entre deux de mes visites. » Cet Avant se conclut lors d’une balade au milieu des terrils avec la découverte des lichens, des drôles de taches rouges qui font penser au sang. Le lichen, la seule chose qui pousse après l’éruption d’un volcan.
Lichen est donc un récit bâti sur des ruines et vu à travers le prisme du regard d’une petite fille dont le père refuse de quitter la maison de son enfance. Les travaux de démolition ont déjà commencé tout autour, mais lui ne veut pas s’en aller, même si sa maison prend l’eau. La mère, elle, a déjà quitté le lieu, qu’elle juge insalubre. Comme l’eau qui envahit tout, le feu est présent tout au long du texte. Comme une explosion de colère. La main du père va prendre feu au moment d’allumer le briquet. La petite fille va vouloir brûler ses livres de classe. Et c’est elle qui craque une allumette à la toute fin de la pièce, enfermée dans les toilettes car « C’en est assez de voir ce spectacle désolant. » C’est l’enfance qui, au bout du compte, est sacrifiée. « Je ressens qu’on me mâche », dit-elle. Ce récit, noir, est sculpté par une langue singulière. Il y a la voix de la petite fille, elle utilise le tu à la place du je, comme si elle se regardait en train de subir la perte des adultes, le récit par moments multiplie les voix : « “Papa”, tu dis. “Dors”, il répond. “Papa”, tu dis. “Dors, on verra demain”, il répond. “C’était Maman”, tu dis. “Non”, il répond. “Papa”, tu dis. “Oui”, il répond. “C’est quoi un taudis ?”, tu dis. “LA VIE SANS POSSIBILITÉ D’ÊTRE A BORA BORA”, il répond. » Ces deux journées ressemblent à une chute vertigineuse, ou à l’effacement d’une histoire. « En réalité aujourd’hui des gens disparaissent, sont effacés si rapidement, bien plus rapidement que de temps il ne faut pour craquer une allumette. » Déflagration.
L. Cazaux
Lichen
Magali Mougel
Éditions espaces 34, 48 pages, 12 €
Théâtre Les laissés-pour-compte
mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243
| par
Laurence Cazaux
Une pièce pour redonner une histoire à ceux qui en sont dépossédés.
Un livre
Les laissés-pour-compte
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°243
, mai 2023.