Pour sa huitième livraison, la collection « Supersoniques » ouvre ses pages à l’inclassable Érik Satie, dont Célia Houdart dresse un portrait foisonnant et fantaisiste, à la hauteur de la cocasserie du personnage. « Indispensable » pour certains (John Cage), « pou mystique et marchand de robinets pour d’autres » (Willy), Satie fut un indécrottable provocateur, « piéton du Paris alchimiste », un zélé consommateur d’absinthe – et surtout l’auteur d’une musique singulière, naïve et enfantine, profondément mélancolique. « Une musique née dans le monde du spectacle et des cabarets mais qui est tout le contraire d’un spectacle. Un recueillement. Un chant intime. »
Précurseur génial ou piètre amateur, c’est selon, il croisa Tzara, Cendrars, Picabia ou Brancusi. Composa, énamouré, des danses gothiques pour Suzanne Valadon, qui peignit son portrait, avant de lui dédier sa pièce Vexations, « une unique phrase musicale répétée 840 fois » et que Cage et neuf autres pianistes jouèrent pour la première fois en 1963… en pas moins de 18 heures et 40 minutes. Fréquenta assidûment les tables du Chat noir et celles de quelques salons princiers, traînant partout sa silhouette reconnaissable entre toutes dans son complet de velours moutarde quelque peu poussiéreux. Mit fin à son aventure rosicrucienne en cette fin de siècle très ésotérique en créant sa propre église, l’Église métropolitaine d’art de Jésus conducteur, dont il fut le seul et unique fidèle. Satie, qui vécut une vie de misère crasse, fut aussi un des premiers membres du Parti communiste français pour enfin, laissant libre cours à sa misanthropie, ne s’intéresser plus qu’aux enfants, aux pauvres et aux chiens. Dans sa chambre minuscule de la rue Cauchy à Arcueil, on trouva après sa mort un inimaginable capharnaüm, où parapluies, mouchoirs, milliers de petits cartons calligraphiés se mêlaient aux détritus. Tout le contraire de sa musique, qui tutoyait le vide et un radical dépouillement.
Valérie Nigdélian
Érik Satie
Célia Houdart et Alain Huck (ill.)
hilharmonie de Paris, 64 pages, 13 €
Domaine français Ésotérik Satie
octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247
| par
Valérie Nigdélian
Un livre
Ésotérik Satie
Par
Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°247
, octobre 2023.