Chaque rentrée c’est pareil. Et que six mois de vacances ça m’a pas suffi. Et que je suis mal payé. Allons donc, le plus beau métier du monde ! Et tout le monde se met en quatre pour te faciliter la tâche. Par exemple la rédaction de France Info qui, ce 4 septembre, encense Western de Maria Pourchet, « fabuleux roman d’amour à l’ère post #MeToo ». Et alors ? Et alors si tu tenais tes fiches à jour, tu te souviendrais du 7 septembre 2022 où France Info encensait Cher connard de Virginie Despentes, « roman épistolaire post #MeToo ». Autrement dit, voilà clé en main le véhicule de ton cours, l’arme fatale du prof de français : LE GROUPEMENT DE TEXTES.
Dans Cher connard, Oscar, écrivain quarantenaire, se voit accusé de harcèlement sexuel par son ex-attachée de presse. Sa correspondance avec Rebecca va lui permettre de cheminer vers la compréhension du mal qu’il a exercé. Comme c’est très bien fait, on distingue les étapes, que Rebecca signale d’ailleurs : « On dirait que tu progresses, Oscar ». Le signe qu’Oscar progresse vraiment, c’est sa confession quatre pages plus loin : « Il y a une histoire dont je ne parle jamais ». Une histoire avec un garçon ! La prison de l’hétéronorme ne lui avait pas, jusque-là, permis de l’exprimer.
Dans Western, l’acteur quarantenaire Alexis fait l’objet d’une enquête pour violence morale envers une apprentie-comédienne. Sa rencontre avec Aurore la bien nommée va lui permettre de se libérer de son ego ravageur. La manière est excellente, qui suggère cette ouverture : « il ne veut pas qu’elle se taise, jamais. Il s’intéresse à quelqu’un d’autre que lui, et ça le brûle à des endroits du crâne et du thorax dont il ignorait l’existence. » S’iI ne parvient pas encore à tout admettre : « De ses amours masculines il ne dira rien », on saisit l’importance de ce silence – « C’est avec les hommes qu’il a appris à avoir un corps et avec eux qu’il s’en est souvenu » – et que le devoir-être mâle fait ses victimes en même temps que ses bourreaux.
Tes élèves vont se mélanger les pinceaux ? Pas du tout. D’une œuvre à l’autre le prénom et la profession des personnages diffèrent, de même que les dispositifs narratifs. Pour Cher connard, on reconnaissait le modèle hollywoodien du buddy movie, ou film de potes ; deux êtres que tout semble éloigner (généralement, l’un des deux est tout noir) finissent par se respecter, voire se lier d’une affection virile. « Faut pas se mentir, on est en train de devenir salement copains » déclare Rebecca – devenir que le lecteur aura peut-être anticipé, la romancière ayant eu l’idée géniale de neutraliser toute polyphonie. Dès ses premiers messages, par exemple lorsqu’il évoque les lesbiennes de sa jeunesse (« Sur le ring de la fémininité conventionnelle, elles ne pouvaient même pas enfiler les gants »), il apparaît qu’Oscar parle le Virginie Despentes : ce n’est pas le mauvais bougre, il a des notions.
Du côté de Maria Pourchet, c’est un autre genre qui affleure, la rom com ou comédie romantique, qui permet d’apparier (mais sexuellement) des êtres sans relation nécessaire, de sorte que la poésie du cœur vienne réenchanter la prose du quotidien. Au début, leur chair est triste, c’est Paris et compagnie, la coordinatrice de projet Aurore vivote entre télétravail et sextoy fusiligne, quand l’acteur roi Alexis s’engloutit dans les parkings Vinci avec une dame du ministère : « Élisabeth développe son impératif. Elle a vraiment besoin qu’on l’encule. S’il te plaît je te suce avant. » Heureusement, le style devient plus joli quand le roman se délocalise en Province, lieu de tous les possibles ; ainsi dans un village du Lot, on sent que quelque chose va forcément se passer : « Ce pays-là, quand on le trouve, souvent par hasard, on veut y revenir pour y mourir. » Ou pour s’aimer – d’abord « Ses mains à elle le caressent comme un simple territoire et s’attardent aux reliefs de la chair » et puis un peu plus tard « il pose à plat, plusieurs fois, ses mains sur les pleins de ma chair, le ventre, la gorge encore, les joues, les hanches et, en remuant les lèvres, ne dit pas quelque chose. »
Mais chut. Faisons nous aussi silence, on te laisse travailler. Et rendez-vous en septembre 2024, pour élargir le groupement de textes avec la sortie des Corps égarés d’Ambre de Tornado (au cœur des Cévennes, guidé par une enfant loup, un danseur étoile priapique performe son parcours de vie).

Gilles Magniont