Gwendoline Soublin nous offre avec Spécimen un magnifique poème dramatique, une fable écologique et déjantée voyageant de manière totalement onirique sur 3,8 milliards d’années. La pièce démarre au Capitalocène, un concept créé pour signifier que le capitalisme est responsable du dérèglement climatique en cours. Et nous fait traverser l’ère quaternaire, l’ère tertiaire, pour arriver à l’état larvaire microscopique. L’héroïne de ce voyage fantastique est une femme de 46 ans, travaillant dans une grande surface au rayon poissonnerie. Elle parle d’elle à la troisième personne, devenant ainsi un peu tout le monde, elle dit : « on pose, on pèse, on tape, on colle ». C’est ce qu’elle fait toute la journée au travail. Et pour une erreur avec une cliente, son patron l’humilie et la traite de « CROMAGNON ». Le lendemain, plus rien n’est pareil. Déjà au réveil, elle se coupe un doigt, est prise de vertige dans sa salle de bains, qui se déforme en grotte préhistorique. Et quand elle prend le bus pour se rendre à son travail, deux personnages, « la faisandée et le cabas », lui volent son repas. Elle sort du bus à leur poursuite et cette course va l’amener à traverser des milliards d’années, comme dans une épopée, jusqu’à être avalée avec cinq « casqués » lancés à sa recherche, dans un monstre marin. Une séquence à l’humour noir, « Intermède pour cinq extinctions », met en jeu les cinq « casqués », chacun portant le nom d’une des grandes extinctions (Permien, Trias, Ordovicien, Dévonien et Crétacé) – et permet de débattre des belles raisons de rester vivant, le perdant devant se sacrifier pour permettre aux autres de sortir du ventre de la bête…
Gwendoline Soublin s’amuse avec les mots, les sons, elle modèle la langue comme une glaise préhistorique. Plus la pièce avance, plus la typographie est bousculée dans la page. Voilà une proposition surprenante, une histoire pour nous remettre, nous les humains, à notre petite place dans ce grand tout qu’est la création de notre Terre.
Laurence Cazaux
Spécimen
Gwendoline Soublin
Espaces 34, 128 pages, 17 €
Théâtre Spécimen
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°248
, novembre 2023.