Ce pourrait être notre arrière-grand-père, si tant est que vous ou moi soyons français « de souche », comme dit l’autre : un jeune mâle blanc, bien de son temps – colonialiste naturellement, professant racisme et sexisme avec la souriante candeur des dominants. Maurice Taconet, né au Havre en 1853 dans une famille de la bourgeoisie locale, s’embarque en mars 1884 pour Alger. Il va rendre visite à des parents, citadins prospères, exerçant la profession de courtiers maritimes. Passé le temps des retrouvailles et des « premiers frôlements de burnous », le jeune Taconet, accompagné de ses cousins, décide d’aller voir de plus près cette « France africaine », cette « autre France », dit-il, qu’on n’appelle pas encore « Algérie française ».
Le voilà donc parti, ici en diligence, là en train, sillonnant la Kabylie et le Constantinois, en passant par les oasis du désert, la plaine de la Mitidja ou les ruines de Tipasa. De ce séjour d’un mois à peine, Taconet tirera un récit, Souvenirs d’Algérie, qui tient à la fois du journal de bord et du guide touristique. Récit ringard, souvent comique, finalement passionnant, tant les poncifs qui l’irriguent résonnent, terriblement, avec notre monde d’aujourd’hui.
Autant les paysages (et les constructions coloniales : routes, ponts, etc.) éblouissent le Havrais, autant les autochtones (les « indigènes ») le rebutent et le fascinent tout à la fois. Sa xénophobie est nettement graduée et hiérarchisée. Les Kabiles, malgré leur « humeur guerrière » (allusion à la révolte de 1871) et l’obligation subséquente de « les surveiller activement », occupent le haut de l’échelle. Grâce au travail des missions catholiques, ces « populations travailleuses et intelligentes » pourraient voir « leurs mœurs souvent sauvages » finir par « s’adoucir graduellement ». Des Arabes, en revanche, « voleurs » et « paresseux », il n’y a rien à tirer, en dépit des « mystérieuses mauresques, drapées dans leurs voiles blancs », qui, autant que certaines femmes kabyles, titillent la libido du narrateur. Mais c’est à l’encontre des Noirs, que le racisme s’affiche avec le plus de violence. Le passage sur le « ballet nègre », où les danseuses sont décrites comme des « singes d’ébène », en dit long sur la déshumanisation opérée.
Dans sa préface, l’historien Philippe Artières note que le livre, qui se présente comme un guide touristique à l’adresse des « métropolitains », s’avère un bon « outil de propagande » coloniale. Il participe à la « construction d’un nouvel imaginaire social » : faire de l’Algérie, misère comprise, une destination « pittoresque, à une nuit de bateau de Marseille ». Les décennies suivantes, marquées par la montée du nazisme en Europe et les luttes des pays d’Afrique pour leur indépendance, vont, en partie, changer la donne. L’antisémitisme trouvera, en Algérie, un écho puissant et durable. Maurice Taconet, pour qui « les colonies sont des enfants attachés à leur mère », est à l’image d’une partie de l’opinion française de l’époque. Aussi loin d’un Paul Aussaresses que d’un Maurice Audin. Il fait partie, comme eux, de notre histoire.
Catherine Simon
Souvenirs d’Algérie
Maurice Taconet
Préface de Philippe Artières
Mercure de France, « Le temps retrouvé », 306 pages, 11 €
Domaine français Excursion coloniale
novembre 2023 | Le Matricule des Anges n°248
| par
Catherine Simon
Un récit ringard, souvent comique, finalement passionnant.
Un livre
Excursion coloniale
Par
Catherine Simon
Le Matricule des Anges n°248
, novembre 2023.