Kouam Tawa est un écrivain camerounais. D’abord poète, venu à la littérature par la poésie. Puis passant de la poésie à l’écriture dramatique parce que, dit-il, « J’ai compris, très tôt, en fréquentant l’unique bibliothèque de la ville où j’habite, que le livre ne sera pas le moyen par lequel j’atteindrai mes compatriotes à qui j’avais envie, très envie, de parler. Je me suis mis à écrire pour le théâtre parce que de ma table de travail, ma parole pouvait immédiatement rejoindre une scène de théâtre et atteindre les oreilles de ces personnes, qui m’entouraient, et à qui j’avais envie de poser des questions, de dire des choses ».
Poète donc en premier lieu. Et poète toujours dans son écriture théâtrale. Fruit d’un arbre est un court texte ; le monologue d’un jeune homme qui s’adresse au spectateur ; lui demande pourquoi il se trouve là, enfermé dans un lieu inconnu. Son père dirige le pays depuis son palais, d’une main de fer semble-t-il. Lui est le fils préféré, appelé naturellement à lui succéder. En attendant, il se comporte en bon fils : soumis, obéissant, profitant des richesses que l’exercice du pouvoir procure à sa famille ; ayant beaucoup de temps libre. Ce temps, il le passe sur les réseaux sociaux. Et là il découvre que le peuple n’est pas heureux. Plus que ça même, il est en colère. Depuis quelque temps, les hashtags se multiplient contestant la gestion et l’honnêteté du pouvoir en place, la sincérité des résultats électoraux, dénonçant l’absence de libertés et les nombreux détournements d’argent.
Au cours d’un repas de famille, il s’en ouvre à son père, suggérant simplement « qu’il serait sage/ eu égard/ à la grogne/ qui monte/ de plus en plus/ dans le pays/ et dans les diasporas/ qu’il lâche un peu de lest. » Peu de choses finalement, une remarque pleine de bon sens. Une remarque faite pour protéger les siens : « Tu l’avais dit par crainte/ que cette grogne/ qui va s’amplifiant/ sur les réseaux sociaux/ ne devienne/ raz-de-marée/ et emporte/ comme ailleurs/ dans sa fougue/ et dans son désastre/ tous les gens du palais. » Mais son père n’est pas de cet avis, et sa famille non plus. On ne dit pas des choses pareilles. Et le voilà contraint de s’excuser, de faire amende honorable. Et c’est à partir de ce jour que tout bascule. D’abord une petite voix en lui se fait entendre, s’insurge et le traite de minable. Puis il perçoit les pensées des autres cachées derrière leurs paroles mielleuses. Celles du monarque bien sûr, celles de la première dame, du chef du protocole, mais aussi celles de la cuisse de poulet qu’il est en train de manger, du verre de grenadine et du poisson dans l’aquarium. Ses mains, ses pieds semblent soudain agir d’eux-mêmes, et il se retrouve enfermé dans un lieu clos dont il se demande si c’est un asile ou une prison tant il en vient à douter de sa raison. Et de nouveau cette petite voix, qui lui conseille de mettre fin à ses jours, de n’importe quelle manière, « pour te tirer d’affaire ».
La singularité de cette histoire est accentuée par la mise en page du texte. L’ensemble se présente sous la forme d’un poème dont les phrases, séparées par un intervalle, sont découpées en petites unités de quelques mots, parfois un seul, formant une colonne. L’ensemble est réparti en huit chapitres. Ce découpage entraîne une lecture verticale du texte, les yeux parcourant la page de haut en bas, de plus en plus rapidement. Et ce faisant la lecture ressemble à une cascade, cette chute, soudain violente, survenant après un cheminement tranquille ; comme la traduction physique de l’histoire arrivée au jeune homme. L’écriture est fluide, limpide. Les phrases, parfois longues, se parcourent avec un grand plaisir de lecture, et le lecteur se sent comme aspiré par le texte. Jusqu’au silence final. Nous ne saurons pas ce que devient le jeune homme, mais les questions qu’il pose, qu’il se pose, qu’il nous pose, ressemblent fort à celles que beaucoup aujourd’hui, et partout dans le monde, aimeraient entendre résonner plus souvent.
Patrick Gay-Bellile
Fruit d’un arbre
Kouam Tawa
Éditions espaces 34, 80 pages, 14 €
Théâtre Du palais au peuple
mars 2024 | Le Matricule des Anges n°251
| par
Patrick Gay Bellile
Un monologue en forme de chute, imaginé par le fils d’un autocrate.
Un livre
Du palais au peuple
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°251
, mars 2024.