Monique Wittig, la déflagration
- Présentation Guériller la langue
- Papier critique Une entrée dans l’arène
- Papier critique Dans la cohorte ailée des mots
- Bibliographie Bibliographie
- Entretien « Faire revenir Wittig sur la scène littéraire »
- Entretien Tracer des voies
- Autre papier Souvenirs anticipés d’une biographe
- Autre papier Savoir vivre avec son accent
- Autre papier Partenariats
La biographie est un genre pour lequel je n’ai pas d’affinités. Ni en tant qu’autrice, ni même en tant que lectrice. Je n’ai pourtant pas hésité lorsque le projet m’a été proposé d’écrire la biographie de Monique Wittig, actuellement en cours. Pourquoi ?
Toute la vie de Monique Wittig s’est incarnée dans la langue, intégralement, et par elle seule. De l’enfant avide de lecture toujours perchée dans un arbre avec un livre à l’écrivaine au soir de sa vie dans sa bibliothèque de Tucson (Arizona), c’est une existence tout entière dans les mots, à la lettre, qui s’est déroulée de 1935 à 2003. Comme toute vie d’écrivain, sans doute. Oui, mais chez Monique Wittig, cela prend un tour supplémentaire.
À survoler la vie de Monique Wittig, on reste frappé par les césures très nettes qu’elle contient. La France jusqu’en 1976, puis les États-Unis jusqu’à sa mort. La romancière d’un côté et la théoricienne de l’autre. La dernière venue du Nouveau Roman et la pionnière des études de genre. La militante parisienne des années MLF et l’enseignante proto-queer sur les campus américains. Et ainsi de suite. Ce serait pourtant une erreur fatale d’essayer de découper en tranches et de diviser par thèmes une vie cimentée par la langue et, de ce fait, incroyablement homogène et cohérente. Tous ses combats, tous ses projets, Monique Wittig les a menés sans varier dans la substance même des textes, qu’ils touchent au théâtre, au roman, au manifeste, à l’essai, la nouvelle, la traduction, l’article de revue. Partout, c’est une langue libre de tout artifice, de béquilles et d’encombrements rhétoriques qui tranche dans le vif, plonge au cœur. Elle rend toujours, quel que soit le sujet, le même son mat, dessiné, et sans concession. Toute la vie de Monique Wittig, sa personnalité, ses obsessions, sa sensualité, son humour, ses vulnérabilités, ses colères s’entendent dans son œuvre et dans sa correspondance personnelle, exactement de la même façon, sans aucune rupture de ton. Ce continuum de l’œuvre et de la vie, pour exceptionnel qu’il soit, n’a rien pour étonner. Tout raisonne dans cette poétique du monde, tout résonne dans cette politique du monde. La forme, c’est le sens. « Solitaire, solidaire : ma vie se résume en deux mots », disait Victor Hugo. Poétique, politique : telle fut la vie de Monique Wittig.
Or sa langue – dans sa structure, ses accélérations, son érotique, ses scansions, ses juxtapositions – est, littéralement et dans tous les sens, sa vie mise à nu. Sa prose est, à cet égard, d’une honnêteté déconcertante. On lit à livre ouvert dans cette grammaire de l’imaginaire, cette matrice débarrassée de toute anecdote, tirée aux sources de l’Antiquité et nourrie de la littérature classique, la pudeur de son caractère comme sa tendresse, les rigueurs de son intelligence comme les malices d’un esprit volontiers ironique, sa générosité comme son intransigeance.
Pour autant, cette langue n’est pas simple, ni transparente. Elle est très...